dimanche 28 octobre 2012

Dévoration

(nightmare by atlantisvampir, deviantart.com)

Il regardait le noir, les flashs d'argent glacés qui lacéraient le noir, les flashs de lumière sombre, opaque, étouffante. Il voyait les auréoles fugitives des projecteurs, aussitôt ravalées par l'obscurité, il percevait l'haleine de cette bouche d'ombre engloutissant la rue, le quartier, toute cette ville endormie et stagnante. Depuis les volets clos de ses yeux aveugles, il avait vue sur tout.
De l'autre côté des paupières, la longue procession des monstres grimpait une colline nue, faite de métal grinçant, secouée par l'orage phosphorescent des éclairs coupants lancés par les voitures, loin au-dessus du sol, par les trains aux longs museaux noircis, par les astronefs à l'approche du terrain d'atterrissage. Il lui semblait que par-delà les bâtiments aux yeux percés, la colline croissait, surplombant bientôt de sa masse froide et branlante le paysage urbain.
Il sentit le roulis gagner le plancher de la chambre. Un lent mouvement de va-et-vient s'emparait du monde et happait les choses endormies, les gobant dans un à-coup ; elles basculaient dans l'ailleurs. L'odeur des fumées d'essence se mêlait au cliquetis sonore des armées en marche tapant du pied contre une vieille carcasse, la terre, vaincue, défaite par le métal. Une nausée inquiète le prenait de l'intérieur et montait, vague après vague, expulsant les restes épars de sa raison, pour déborder enfin, en larmes, en douleur, hors de son corps désarticulé.
Il titubait.
Il s'étranglait.
Il sentait ses deux mains fourrager dans son sein, pincer sa peau et meurtrir ses cuisses nues sous l'orage de feu. Puis il sentit deux mains, deux autres mains, qui pressait sur ses deux yeux morts. La colline géante, à l'horizon, avait tout enveloppé. Elle était l'horizon. Elle donnait au ciel sa couleur d'onyx et son éclat si pur. Et les mains qui appuyaient faisaient tout ressortir avec plus de vigueur. Les lignes tranchaient, les contours déchiraient, et les angles enfin, perçants comme des fragments d'os brisés, trouaient la toile du cauchemar avec une frénésie sereine.
Prêt à succomber, il dévore les lambeaux du monde.
Son être est grand ouvert.

Il a l'air calme dans son lit d'hôpital tout blanc. Il a l'air calme.
Il a l'air calme.
Personne ne vient. Je m'approche du lit et je me penche au-dessus de sa figure de cire. Ses yeux sont clos. Ils l'ont toujours été. Son souffle est régulier. Ma main passe sur son visage et son visage se crispe, tiré par une vision déplaisante. Je touche de l'index la joue fanée et sa tête s'agite. Elle frappe l'oreiller avec violence.
Je souris.
Dehors, les sirènes retentissent de nouveau, pour rappeler à l'ordre les derniers promeneurs. C'est l'heure du couvre-feu. Les néons clignotent.
Mon regard revient vers lui. Il transpire et son corps s'agite en vain dans le linceul du drap. Il semble déjà dans la tombe.
Je saisis l'oreiller du lit voisin et je le pose sur son visage.
J'appuie doucement.
Il se balance plus vite, d'un rythme étrangement régulier.
J'accentue la pression et je vois les veines du coup se tordent. L'entrelacs violet saille sous la peau transparente.
J'attends encore, j'appuie encore.
Je m'enfonce.
D'un seul coup, quelque chose cède sous mes doigts et mes deux poings fermés s'enfoncent.
Il tremble et je tremble aussi. Sous mes doigts, je ne sens plus son visage.

Je ne sens plus qu'un gouffre immense qui m'aspire au fond de ce corps convulsé.

vendredi 12 octobre 2012

À une heure du matin

(Citypark by mara-mara, deviantart.com)

Des traces de musique triste sommeillent en flaques au creux des fenêtres ; des mélancolies adolescentes, réminiscences d'un spleen séculaire, rôdent en meute sur les pelouses mouillées, s'accrochent aux branches basses avant de céder à la chute. Quelques écureuils, encore, rongent une écorce sale, jouent dans les feuilles avec de brusques sauts.
Le soleil n'est plus.
On voit gris.

L'ombre, volatile et frileuse, palpite sur le campus, sourde d'une vague tension - celle des vendredis soirs. L'heure est pleine de promesses, chargée d'attente, emplie d'espoirs, lourde de désillusions. Il y a des silhouettes qui se croisent au-delà du chemin, levant la tête pour se dévisager sans bruit avant de reprendre leur danse, différemment, imperceptiblement, dans la longue valse étranglée des êtres au crépuscule.

Je pense à lui.
J'enchevêtre à quelques mots renaissants, poussés hors de moi par ce lieu, par ces gens, cette liberté, quelques fantasmes innocents noyés dans un sourire.
Sur le clavier, mes doigts s'attardent, comme s'ils retrouvaient avec émotion un refuge oublié.

Tout s'assoupit un moment. On se prépare au rush nocturne.
Un rêve encore me hante que Baudelaire nous dévoile. Accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise...

A une heure du matin, je le sais, les rires et les gestes, les corps et les esprits se mêleront, assouplis, dans un monde plus courbe, aux repères renversés, à géométrie variable. Les secondes graveront, sur l'ardoise des vies, des joies nouvelles, appelés à rejoindre la masse des souvenirs pour y raviver l'étincelle des moments heureux.
Mais je sais qu'il y aura, dans l'encre de la nuit, des lucioles éteintes pour nous serrer la gorge - pour mêler à cette insouciance volage l'amertume voilée de la séparation.

Irrémédiable altérité.

lundi 9 juillet 2012

Back ?


(Rebirth, elestria, deviantart.com)

Retour de fantômes... Une envie sans nom qui flotte, de retourner ici, de vous revoir, de revoir le monde après cette longue année, de croire que les choses changent, qu'elles vont changer...

Plein de projets, des bouquets de sourire à ravir à chaque coin de rue, des visages à revoir. Apprendre à se laisser vivre à nouveau. Retrouver le droit de vouloir, savoir désirer.
Aimer.
Moi.
Les autres.
Les mots, plus que jamais.

Pourquoi pas maintenant ?
La plume me démange...