jeudi 31 mars 2011

Rêver au moyen de ne plus s'entendre vivre


Là-bas, derrière la colline, au creux du soleil, il y avait eu quelqu'un, quelqu'un qui fut moi et qui s'en est allé. Les sentiers de glace, sous le feu doux du printemps, sont restés là, à danser seuls. L'horizon habilement délavé a continué à rougir, à s'élargir, à onduler et à mourir, jour après jour, sans spectateur. On peut penser que l'herbe et les blés moutonnants ont gardé leurs longs frissons rapides sous la crinière du vent, que les épis sont tombés dans la moisson chaude. J'ai oublié. Je me suis absentée.

Au-delà, la plaine s'effaçait en claires traînées de brume. Tout était plus flou et insaisissable ; l'aurore pulsait sans force parmi les bruines, le souffle des saisons mourait au bord de mon engourdissement. Je croyais entendre les chants des oiseaux, je croyais frôler le monde du bout des doigts, encore, attraper cette vive étincelle des choses qui s'étiolait - sans certitude. Rien n'avait changé, tout était là, derrière le fantôme de mes peurs et de mes tristesses. Je ne pouvais plus voir. Il me semble qu'aux derniers jours d'automne, j'ai posé mes bagages. Je me suis assise au croisement des routes dévorées de mousse pour reposer mes muscles endoloris et mes yeux fatigués. Il y avait un roc à la toison brunie de lichens et de moisissures. Un siège inconfortable pour le voyageur des songes.

Un loup hurlait au fond de mes rêves.

La tentation froide, humide, des longs bois alanguis, me prenait au coeur, comme un puissant murmure aux mots de glace, aux promesses de fougères. Les branches nus des arbres battaient doucement ma carcasse attardée sur le bord de la vie, fouettaient ma solitude en riant. Je dormais trop profondément pour les entendre. J'imaginais, dans l'ombre des nuits, un gouffre profond et tendre, et semblable à une gorge amie où je pourrais m'étendre - et tomber. J'agrippais malgré moi les racines, les promontoires de fortune qui défilaient à toute vitesse. Le sol n'existait plus, je me sentais glisser vers l'abandon. Des sanglots me parvenait encore, sonnant étrangement dans ce monde souterrain, noyé de terre et d'humus ; les cris d'en haut n'étaient plus que des plaintes sans force, des renoncements indifférents qui ne m'obstruaient plus, qui me laissaient en paix. J'inspirai la verte fraîcheur des collines en lui disant adieu. Je dessinai d'une main les reflets rouges des renards dans les prés, j'esquissai un vol d'hirondelles sur les canopées et m'éloignai en silence.

J'avais des souffrances à nourrir.

Une vie à étouffer.

(pix : a clearing by seoulmanTED, deviantart)