mercredi 21 juillet 2021

Prisme

 
 
J'avais eu une semaine chargée. Émotions, trop, beaucoup, ou même juste au-dessus du bord, à calmer. Mais dans l'ensemble, on avait fait tenir les digues, et les crins-crins anxieux et glapissements intimes n'avaient pas dépassé les bornes ; je les avais noyés d'un tour de main dans nos sourires complices et la certitude que j'avais de nos connivences. L'ensemble s'était montré étonnamment solide, j'avais goûté à l'apaisement du rythme et du contrôle, entre deux flancs de montagne tranchés par le lac émeraude, sous les averses, en traversant les foules corpulentes de touristes. Un 14 juillet de bruine et d'éclats un peu chiches – les feux divisés sur toute la ville d'Annecy, pour morceler les amas vivants et servir d'anticoagulant au virus. Résultat : des ballets de lumières tronqués par les arbres, tout près, ou bien des arabesques entières, mais diminuées par la distance, et ridiculement petites depuis les rives où nous nous tenions. Mais nous en riions, en maugréant, peu charitables, contre tous – leur bruit, leurs propos, leurs gestes –, à deux contre un monde, peine perdue mais retrouvailles chéries dans le sentiment d'un commun jugement des autres. 

Et puis ce jour-là, sans savoir d'où, un Prisme remonte et s'impose, et je n'y vois plus que par lui, ses verres opaques, jusqu'au strabisme de toute situation. Alors mon ton s'enraye et mes mots deviennent durs, contre toi parce que contre l'image que j'ai de moi avec toi. Au fond de moi, c'est l'accusation qui gonfle contre nos accords réciproques, et la place que je me crois assignée qui me révolte. Victime. Je t'en veux et j'accueille ce ressentiment sans distance. Je l'abreuve. Tu te cabres. Je m'insurge. Tu t'éloignes. Je retiens. Tu forces. Je pleure. Tu te glaces. Je m'enflammes. Tu t'indiffères. Je m'arrache.

Dehors, la nuit du parc à quelque musique tinte chaudement. On me conduit à la table en terrasse, une personne, oui, entrée plat et un verre de Riesling. J'ai caché mon visage un temps sous le masque, ironiquement bienvenu, puis je l'ai tombé. Après tout, quelle importance : tu es à deux pas dans la chambre, mais tu n'es plus là avec moi. Pour quelques heures (jours ?) tu t'es cloîtré, je te connais, et m'insupporte ta coquille déçue, ce retrait violent que tu m'infliges quand tu as mal. Je dois réajuster mon corps et mon cœur dans cet espace d'où tu as fuis, où tu joues la distance. 

Et je m'octroie le droit de t'en vouloir, oscillant entre colère et tristesse quand je sais trop fort aussi que j'y suis pour quelque chose.