vendredi 31 octobre 2008

Spirale


Ce n'est pas de la mauvaise volonté, loin de là. Simplement la perte de l'habitude, le réflexe tout comme le besoin qui se délavent. Et ça fait de gros trous d'absence, sur mon blog, où finalement quelque chose se révèle peut-être, dans les silences, dans l'à-côté du papier. Ce qu'il est dense, pourtant!, indescriptible, inenvisageable, ce rythme qui habite mes jours, leur laissant une indolence dont le coeur bat trop vite, désynchronisé...

Les questions viennent moins souvent qu'auparavant agiter mes pensées au-dessus du gouffre de l'avenir, et si j'ai les pieds qui pendent dans le vide, la position me plaît.
Je sens l'équilibre fragile se tisser, progressivement, bâtissant sa structure éphémère entre visages et lieux familiers, aimés, espérés.
Je sens que j'ai besoin de cette perception magnifiquement défigurée pour écrire.
Je sens que tant qu'elle ne sera pas pleinement là, ça pourra attendre.

Attendre... Il y a trop de choses dans ce mot; promesse, crainte, impatience, désillusion. Un sursaut de corps brisé, qui se redresse sous la main rigide du temps, et déploie sa silhouette entière. Comme une liberté qui rechigne et se fait désirer. Ce que j'ai hâte de voir à nouveau! Mais ces choses là ne se décident pas. On se les prend en pleine gueule, un matin de crachin. Dans la succession des parapluies qui tapissent les rues, dans le coup de burin des talons frappant le pavé, dans l'espace qui disparaît entre deux corps, insensiblement, au fil des jours...

Je maîtrise le ralenti du monde, et cherche à oublier.
Pour retrouver.

mardi 21 octobre 2008

Back in town

Finalement, j'attends avec impatience de pouvoir retrouver les latitudes parisiennes. Ici, depuis quelques jours, le temps s'écoule uniformément, à faire les mêmes gestes dans les mêmes pièces, et il pourrait en être de même pendant encore des semaines... Bien obligée.

Mais bon, tout va rentrer dans l'ordre, et je vais enfin (tous!) vous revoir. J'attends vos sourires et vos blagues vaseuses avec impatience...

I must admit I miss you all.

dimanche 12 octobre 2008

Nowhere


De la fatigue, de la fatigue, de la fatigue...
Comme souvent le soir, les orbites accrochés à la lueur blanche d'un écran, la certitude que le monde réel et ses cahots disparaîtront dans l'instant si je décide de faire autre chose, de prendre un bouquin, d'écouter Kamelot ou Rhapsody. Disparaîtront, happés par le sommeil où espoirs, énervements, douceur et absurdité viendront peupler mes songes de gens trop de fois vus, touchés, connus.

Que tirer de ces derniers jours? Pas grand chose, en même temps qu'une immensité de temps inerte, qui s'étire lentement, coagule parfois, rarement se précipite. Je me vis hors du temps, une partie de moi-même refuse de se plier aux graduations contraignantes du calendrier ou de l'emploi du temps. Malgré moi je flotte, je rêvasse. Je me perds ailleurs, dans des pensées qui ne sont pas nécessairement réconfortantes. Ni tristes non plus. Simplement évanescentes, ayant pour elles la beauté des créatures légères, insaisissables; la grâce des spectres éthérés, qui s'estompe dès qu'on croit la saisir.

Je m'abreuve d'images, de photos, de contacts humains. Autour de moi, des gens, sous toutes les formes: des coups de téléphone, des mails, des conversations msn ou facebook, des dîners collectifs... Du monde, tout autour de moi. Moi qui ne suis même pas en moi-même.
Pourtant ce serait simple de revenir dans ce corps si commun, ce serait peut-être rassurant, banal; comme réglé par les battements d'un métronome. Cela dispenserait de se poser des questions.

Y a-t-il eu quelque chose qui ait valu la peine qu'on vive cette semaine? Non qu'elle ait été décevante, pas du tout. Non, vraiment, quelque chose de lumineux qui perce le brouillard de nos allers-retours quotidiens? Oui, bien sûr, vous me direz... Cinéma au son d'une entêtante comptine, les parfums délicieux des scones qui cuisent au milieu de la nuit, le chocolat qui fond et coule sur les doigts des gourmands, et autres... Oui, d'accord.
Mais j'ai beau me baisser pour saisir ces instants, j'ai beau courber mon esprit pour qu'il les recueille et les considère, je ne les atteins pas. Ils sont déjà partis, errants, dans ma mémoire indifférente.

Il y a cette silhouette à laquelle on pense simplement parce que ça fait mal et qu'on aime se frotter à cette douce souffrance jusqu'à ce qu'elle ne laisse plus de tache sur notre petit coeur étriqué. Étriqué? Oui. Se renfermant sur ces petits bouts d'images, de souvenirs, les buvant jusqu'à plus soif, jusqu'à désintégration.
Il y a ce téléphone qu'on aime et qu'on haït, cette boîte mail qu'on voudrait faire disparaître quand on sent que les doigts, sur le clavier, s'y rendent sans cesse. Il y a cette conscience qu'on aimerait pouvoir gommer quand, par vagues, elle se rappelle à notre existence, nous renvoyant notre propre image, horrible. Il y a ces gens qui veulent vous aider sans savoir que vous êtes cloîtrés en vous-mêmes. Non pas tant parce que vous l'avez choisi que parce que telle est la condition de chacun de nous. Simplement, l'homme dans son quotidien cherche à briser ce cocon qui l'étouffe. C'est un peu ça qu'on appelle... communiquer. Alors on montre du doigt celui qui s'assoupit un instant dans sa propre solitude, certain qu'elle ne lui convient pas mais qu'il la préfère à cette fausse amabilité qu'on lui demande de partager. On le désigne, coupable.
C'est parce qu'on lui en veut de nous faire sentir à quel point nous sommes impuissants à le rendre heureux.

Quelques projets en préparation, qui perdent de leur réalité au fur et à mesure qu'on les considère. Peut-être l'inverse de ce qu'on croirait, et pourtant... Plus on retourne toute cette organisation dans les méandres de nos cervelles, plus nos entreprises s'usent, jusqu'à la corde, pour se briser d'épuisement à l'épreuve de nos volontés privées d'action.

Vous auriez sans doute souhaité quelque chose de gai. De franc, d'original. Plein d'esprit.
Et bien, vous avez eu le post du soir, grisé par la pollution et les idées parasites. Celui qui vacille avant de naître, puisqu'on ne sait même pas ce qu'il sera au moment où les mots se forment à l'écran.
Et cependant on a envie de conclure. Pas la peine de trouver la pointe ironique ou la formule-choc, non... Il suffirait du mot juste, celui qui goberait tout ça d'un coup, brillant d'évidence, lugubre de vérité.

Attente.

jeudi 9 octobre 2008

Histoire collective


Alors, non, je n'ai pas vraiment fait exprès. Mais il se trouve que ça tombe assez bien.
Bon, reprenons plus clairement.

Ceci est le 100e message que je poste sur mon blog. Je ne réclame ni bougies, ni pièce montée dégoulinant de caramel. Simplement que vous m'aidiez à continuer ce petit bout de texte orphelin, qui a du mal à trouver, d'abord une suite, et puis une fin.

Alors, si ce n'est pas assez clair pour vous, voilà ce que je vous propose: une Histoire Collective. Cela faisait longtemps que j'y pensais. J'ose espérer qu'au moins deux personnes auront assez pitié de moi pour tenter le coup (ce qui permettrait en plus de justifier le nom de ce post, parce qu'à trois, oui, c'est collectif!). Quoiqu'il en soit, je vous confie le soin de ce cher Hector. Les idées farfelues et tordues sont plus que bienvenues. Surprenons-nous, surprenez-moi. J'ose me reposer sur vous de mon absence d'inspiration (provisoire...).


J'espère ne pas avoir à faire de menaces pour que vous vous jetiez à l'eau (noooooooooon, Aurélie! Cesse de nous abreuver de posts super-trop-méga-longs et radoteurs!...).
Postez la suite dans les commentaires! (je pourrai l'ajouter ensuite au corps du post...).

***

La nuit était enfin tombée. Hector n'en pouvait plus d'attendre. Il était resté cramponné aux rideaux grisâtres que des trous rendaient miséreux en plus d'être de mauvais goût, guettant sans répit les traces de clarté que le crépuscule ne pouvait s'empêcher de laisser derrière lui. Il haïssait ce soleil qui, même à la nuit tombée, refusait à la nuit le droit de jouir des heures pleines du clair de lune, et qui trainaillait trop souvent, sous formes de frisottis de nuages rouges et roses, et cachait les étoiles peureuses.

Maintenant
que seules les dentelles de la lune paraient l'ombre nocturne, il allait sortir. Hector pris sa vieille cape de cuir à laquelle pendaient des cordons dorés et effilochés et sortit d'un pas décidé. Il parcourut des rues familières, mais bien différentes la nuit de celles sur lesquelles glissait son regard tout le jour durant, lorsqu'il traînait à la fenêtre. Maintenant, leurs méandres étaient moins chastes, ils adoptaient des poses lascives. L’opacité marbrait leurs trottoirs comme la peau blanche d'une vierge sous l'empreinte d'une main avide de posséder. Hector sentait l'excitation de ses périples interdis le reprendre. Il n'avait pas l'épée battant au côté dans son fourreau d'acier, ni le heaume luisant des preux de jadis; il n'avait que ses yeux couleur rubis, qui pouvaient tout voir, et sa plume taillée, prête à être trempée dans l'encre du ciel de plomb pour déposer sur les parchemins de l'histoire les secrets dont on l'avait trop longtemps privée.

Hector ne croisa personne pendant un long moment. Lui tenaient compagnie ses pensées funestes, empreintes de vengeance et de dérision. Un chœur de sœurs poussait non loin de là la chansonnette. La mélodie piquante et joyeuse se mua rapidement en de longues complaintes artificielles au regard du velours profond dont se recouvraient les choses, êtres et bâtiments, à l’heure de minuit. Il y avait comme un hiatus entre les notes criardes tirées de cordes vocales cloîtrées depuis trop longtemps dans des corps vieillis, et le naturel sublime du soir, qui vous envoûtait sans ensorcellements, qui vous prenait aux tripes sans chercher à séduire par de vagues déhanchés vulgaires.

Sous le lampadaire de la Rue Nouvelle, près du faubourg, Hector s’arrêta, alluma une cigarette déjà entamée. Une clope de la nuit dernière. Il préservait ce rituel, toujours. Terminer la clope de la vieille la nuit suivante. Ainsi il se sentait l’âme de l’artisan cousant ses morceaux de vie noctambule les uns aux autres, non pas tant pour former une sorte de patchwork temporel que pour marquer la continuité de sa vie nocturne. Pour donner une cohérence à son extase obsessionnelle pour la déesse Nuit.

***
(la suite, par Junko)

Hector déambulait sans but dans ces rues qu'il connaissait dans leurs moindres ombres nocturnes. Il errait, comme cela lui arrivait rarement. En temps normal, ses promenades nocturnes n'étaient pas des errances mais une sorte de travail de cartographie, une enquête silencieuse qui se menait pas à pas. Mais malgré ses sombres pensées du jour, il ne parvenait pas à concentrer son esprit, à le tendre aux moindres détails comme il le faisait presque naturellement. Pour quelles raisons ? peut-être que la nuit se dévoilait d'avantage ce soir-là, peut-être que le défi ne lui paraissait plus à la hauteur de ses espérances. Peut-être surtout qu'à force de ruminer les mêmes ironiques idées de vengeances, la lassitude le gagnait. Et pourtant...

Des images lui revenaient en mémoire. Au lieu de se focaliser sur cette nuit et cette plume, son plus fidèle allié dans sa quête, il revoyait son père, ainsi qu'Adèle, et enfin Aloysius, son mentor en quelque sorte, mais qui avait si souvent moqué son fanatisme. Car il était fanatique ; la religion l'indifférait, la politique plus encore ; mais des personnes auxquelles il tenait, des sentiments qu'il inspirait et qu'on lui inspirait, il était fanatique. Sans concession, sans demie-mesure, il avait pu mettre son entourage le plus proche à rude épreuve. Combien d'ennuis cela avait pu lui coûter, il ne le savait que trop. Adèle...

C'est pourquoi il marchait dans ces rues, c'est pourquoi il avait choisi le soir, moment de la journée qu'il préférait entre tous et qui avait de plus l'avantage de lui permettre de se fondre, silencieux, dans la ville qu'il aimait et craignait tout à la fois.

***
(la suite, par Tsum)

Oui, vraiment. Il aimait cette ville. Sa petite touche baudelairienne, sans doute.

Perdu dans ses songes, il ne vit pas la petite créature qui s'était avancée vers lui, ombre découpant la lueur des lampadaires, plus silencieusement que le mutisme de la lune.

"Vous ne trouverez pas le repos ici", s'écria une petite voix désagréablement aiguë, perçante jusqu'au bout des typams. "Partez ! ". Hector ne distinguait pas le visage, les yeux de l'étrange inconnu. Par curiosité, mêlée de peur, il tenta de se rapprocher... en vain. La créature se dérobait à lui. Il voulu attraper ce qui lui tenait lieu de membre inférieur...

Oui vraiment, il aimait cette ville. Songeant à cela, il s'assit sur un banc. Il regardait le ciel, mélasse sombre jaunie par les lampadaires. Soudain, une main se posa sur son épaule.

Oui vraiment, il aimait cette ville. Il...Hector se réveilla, dans son lit, les pieds froids.

mercredi 8 octobre 2008

Streets


Heureux celui qui marche la tête en l'air...

Il y a marcher. Et déambuler.
Il y a se promener, flâner, ou tout simplement se déplacer, se rendre, aller. Il faut dire que l'homme passe sa vie à suivre une direction.
Même s'il en change souvent.
Même s'il ne la choisit pas toujours.

***

Laissant le rabat de toile retomber dans un grand "clac" sonore, Marie jura entre ses dents. Et abandonna. Tant pis pour le con qui avait encore eu l'idée de l'appeler alors que son portable se trouvait dans les tréfonds de son sac d'école. Les gens... toujours à croire que vous êtes joignable à tout moment, simplement parce que votre téléphone est allumé (c'est-à-dire parce que les éventuels personnes qui auraient envie de vous appeler poireautent plus longtemps avant de tomber sur votre messagerie sympathiquement ringarde), simplement parce que ledit merveilleux petit outil de technologie moderne n'est pas en silencieux, ni même en vibreur...
C'est qu'ils oublient quelque chose d'essentiel, les gens... On pourrait appeler cela de diverses manières. Votre gaucherie. Votre maladresse. Votre naturel "deux de tens'". Votre "anti-douesse", comme dirait certaine personne à laquelle je songe.
Bref, Marie commence à s'énerver dans son coin, tout bas, à l'intérieur de sa petite tête fatiguée par un jour de souffrance supplémentaire devant des pupitres taggés et retaggés à coups de stylo bic rageurs.
Il ne fait ni beau ni moche, à se demander ce que peut bien dire la météo. Le ciel semble avoir disparu, il est tout blanc.
Marie arrive à une intersection. Celle qu'elle traverse tous les jours, parfois au milieu, slalomant entre les voitures et les vélos. Celle qu'elle ne remarque même plus, tant pour elle le chemin qui va de son collège à la maison est rectiligne à cet endroit.
Ce soir-là, elle s'apprête à traverser le passage piéton en trois enjambées hâtives. Mais, à droite, dans une ruelle étroite dont s'épousent presque les deux parois, de vieux immeubles Haussmann, elle aperçoit un chat. Et pas n'importe lequel, non, son chat! Rodolphe ou Arthur, appelez-le comme vous voulez, courre, alerte et leste. Voilà qu'il grimpe sur le mur, le long d'une gouttière. Marie bifurque et le suit, fascinée de pouvoir surprendre son animal préféré dans un des instants de son intimité quotidienne. Elle est sur le point de découvrir ce qui ne peut que lui être caché... eh oui, que fait Rodolphe quand Marie n'est pas à la maison???
Même le chat très affectueux qu'il est a droit à sa part d'individualisme.
Marie ne rentrera pas chez elle tout de suite.

***

Sofiane rentre chez lui. Encore une journée à traîner, un peu partout, un peu nulle part. Pas de boulot, pas d'école. Un entre-deux qui lui a plu, d'abord, pour le laisser désemparé ensuite. Finalement, il s'est plutôt bien accommodé à son existence de vagabond. Il a fait sienne cette sensation de déracinement perpétuel, et cela le réconforte un peu de savoir qu'où qu'il aille, il restera le même: un étranger, quelqu'un d'ailleurs. C'est déjà quelque chose de stable.
Etranger, oui, mais pour les gens seulement. D'ailleurs, pour les gens, ce serait plutôt "étrange". Mais Sofiane s'en fout. Les rues de Paris, les ponts, les cours et les parcs, les impasses, tous ces épanchements de l'architecture le connaissent, eux, et l'accueillent comme un des leurs. Sofiane préfère leur compagnie à celle horriblement codée de ses semblables. Il ne sait pas s'y prendre, c'est tout; il fait tout de travers lorsqu'il discute avec quelqu'un. Ou du moins, c'est le sentiment qu'il a. Ce qu'il ignore peut-être, c'est que les autres aussi font tout de travers lorsqu'ils discutent avec lui. Quand à songer que les deux personnes en présence feraient ensemble tout de travers, il n'y a qu'à lire Gide pour ne pas en douter...
Non, il est nettement plus agréable de laisser son corps à la dérive dans le flot de la vieille capitale. Là, plus besoin de se tenir, de se retenir. Quelle indulgence dans ces têtes de réverbères penchées, quelle douceur dans ces courbes douces de la Seine! Plus infinie qu'une femme, moins démonstrative, mais plus aimante.
Sofiane envisage de rentrer "chez lui". Un bout de trottoir, un autre. Peu importe. Un quartier, peut-être, c'est déjà mieux. C'est déjà une atmosphère, le bruit particulier que font les véhicules sur le revêtement des routes, le goût de l'air au sortir des restaurants, et une faune locale spécifique. C'est déjà un petit monde à soi tout seul. Sofiane aime bien les visiter, ces mondes.
Près de Notre-Dame, il ne lève pas la tête. Il regarde les parterres, les gens et leurs ombres si pâles qui coulent sur la pierre blanche. Il passe en silence, sans savoir que penser. Il n'a jamais vécu ici. Il ne saurait dire pourquoi. Peut-être qu'il est intimidé par la cathédrale et qu'il n'a pas l'habitude que les monuments de la ville lui imposent une telle admiration.
Il franchit un pont, suit une rue, évite de frôler les pardessus beige qui passent autour de lui. Soudain, quelque chose à attire son regard. En bas, sur la berge, une vieille femme agite une main alourdie de bagues dorées d'un mauvais goût. C'est fou ce que cette main semble aimanter son regard. Sofiane penche son corps par-dessus la rambarde de pierre polie, cherchant à savoir si l'on s'adresse à lui. Il était invisible, il rentrait, simplement. Il glissait dans nos rues et voilà qu'on le voit, qu'on le remarque, qu'on l'interpelle! Il n'ose y croire. Il n'était donc pas si indifférent à la compagnie d'autrui!
La mamie ne quitte pas son regard. Sofiane s'apprête à la rejoindre. Une impulsion. Non, plus profond. La destinée, un truc comme ça. Enfin, c'est ce qu'il se dit.
Un bras vient s'écraser dans son dos, par maladresse. Une "grand-mère bis" se profile dans le champ de vision de Sofiane. Son sourire répond à la vieille en bas, sur la berge.
Alors finalement, c'était ça. Une erreur. Un espoir déçu (mais était-ce un espoir?). Sofiane est tenté de continuer sa route. Il essaie de ne pas être touché; à vrai dire, il se demande s'il n'essaie pas d'être indifférent pour avoir la sensation de lutter contre une réelle déception. Il se dit qu'il doit être bien mal, ces temps-ci, pour avoir besoin de se torturer ainsi l'esprit.
Il se détourne. Marche. Se détourne. Et revient vers la Seine, et descend vers la berge, et suit la hanche de l'eau où trempent les bateaux-mouches. Les deux vieilles ont disparu. Qu'importe, il a changé de port. Il a largué les amarres.

Heureux ceux qui marchent la tête en l'air...

(pix: The Streets by BingerBuena, deviantart)

dimanche 5 octobre 2008

"Des riens, ce sont des riens qui sont l'essentiel. Ils finissent par vous perdre." (Crime et châtiment, DOSTOIEVSKI)


On me dit qu'on ne lira pas mon dernier post, ésotérique et surtout long, trop long. Je réponds que cela ne fait rien, que je l'ai lu et relu pour les autres, et que son écriture m'a fait plus de bien que ne vous en fera sa lecture.

Un dimanche, donc, encore un, comme toutes les semaines. Celui-ci s'annonce pluvieux et venteux. Le ciel est gris dehors, vaguement lumineux. On sent bien qu'il y a quelque chose derrière qui veut pousser un grand coup de gueule, mais que ça ne parvient pas à passer. De la frustration des ciels de mauvais temps en milieu tempéré?

Tiens, je me demande s'il ne pleut pas... Retour dans ma banlieue/campagne, sous des auspices indifférents. Ces derniers temps, j'écris un peu partout, sur tout ce qui me passe par la main. Mon agenda, mon cahier, mes feuilles de cours l'ont appris à leurs dépends. Je laisse des phrases esseulées dans tous les coins de ma chambre, sans avoir l'intention de les relire un jour. Un peu égoïste... Finalement je prive de leur raison d'être ces vers, ces ritournelles de mots que je couche sur le papier. Je ne sais même pas si ça me soulage.

D'ailleurs, me soulager de quoi? Il est temps que les cours reprennent, que je cesse d'être "seule" face à moi-même. C'est très dur de vivre avec soi, en permanence. Plus exactement, c'est très dur de ne vivre qu'avec soi. Sans les grésillements bienheureux d'arrière-plan, les cours, le boulot le soir, le stress, l'abrutissement quotidien devant l'écran d'ordinateur. Je suis sûre qu'à force d'être confronté à sa propre compagnie, matin et soir, on finit par développer une hyper-sensibilité très mal placée. Prétentieuse et vaine. Et fatigante.

Je devrais me replonger dans des choses plus constructives. Terminer (ou déjà avancer) Evrasth. Essayer de débloquer la situation (j'ai calé pendant la scène du lever des Soleils). Ça avançait bien pourtant... Dur de se concentrer longtemps sur la même histoire. J'aime les inventer, les ciseler, et les terminer abruptement, sans prendre vraiment la peine de conclure. Essayer de développer une réelle intrigue, voilà l'enjeu de cette année!!

Quoiqu'il en soit je retrouve le plaisir de regarder les gens autour de moi, d'observer la vie à l'état brut fourmiller dans Paris (et ailleurs...), se nourrir des basses réalités de notre quotidien comme de nos rêves les plus fous. A force de s'accrocher à ces visages, ces silhouettes qui évoluent autour de nous, on finit par y voir autre chose. Comme si on touchait à quelque chose de plus grand, de plus rassurant. Une certitude générale, quelque chose d'intangible, peut-être. Attention au syndrome divin, cependant.

Je m'aperçois que j'apprécie de plus en plus les instants de nuit que j'apprends à connaître, autour d'une bière, d'un DVD, ou d'un thé. Il me semble que j'ai écrit quelque part, il y a peu..., oui, c'est ça: "Après une soirée, quand il est tard, plus tard que tard, qu'il est dur d'aller se coucher, d'abandonner la sérénité nocturne où tout devient flottement, suspension! On a l'impression de vivre des moments interdits, des secondes et des heures qui n'existent pas pour les enfants et les couples plongés dans leurs draps. La nuit nous offre cette petite victoire, un moment d'éternité entre le crépuscule et l'aurore, un instant divin où nous nous sentons puissants, prêts à accomplir de grandes choses, à changer le destin du monde d'un claquement de doigts, à le magnifier d'une phrase négligemment jetée sur le papier jaune d'un poète inconnu. (...) Il est des choses qu'on ne peut voir que dans l'obscurité.".

Un peu pompeux peut-être... Enfin, assez propre toutefois à transcrire ce que je crois.
Que faire alors de nos journées? Celle qui vient s'annonce, pour moi, assez morne. Enfin je pense. Non que cela me désespère; j'accueille plutôt cette vérité comme une nécessité (non, je n'ai pas dit "fatalité"...). Bien sûr que j'ai des choses à faire; bien sûr aussi qu'il est très probable que je ne les fasse pas. Pourquoi? Oh, la psychanalyse serait aisée; apathie, désintérêt, narcissisme, état larvaire, rêverie...
Bof, je pense qu'il est plus simple de dire : "Je n'en ai pas envie".

(pix: Rain... rain, by LonelyPierot, deviantart.com)

vendredi 3 octobre 2008

Projet 27

***

Il y a quelque chose qui fait mal, là, en dessous. Ça pousse à l'intérieur. Tout est embué, on n'y voit rien. Des gens respirent avec difficulté. Des râles s'accrochent aux murs qu'on distingue avec peine.

Aeron
s'adosse au crépi rugueux. Il souffre, sans pouvoir nommer cette douleur qui le définit depuis qu'on l'a conduit ici. Il vit dans la mémoire d'un autre, il se sent étranger. Étranger à son propre corps, à son propre coeur qui lutte pour sortir de sa poitrine. Au bord de la nausée, comme tous les autres. Comme si l'on voulait les détruire de l'intérieur.

Ce n'est pas comme dans les feuilletons holo, rien à voir. Pas de résistance. L'humanité, le courage, la force, tout s'affaisse dans l'air poisseux. Aeron hoquette. La lance de fer qui lui transperce l'âme s'agite, tout au fond... July, sur sa droite, convulse. Des veines noires saillent dans son cou, près du tatouage qui lui caresse l'oreille. Et puis plus rien... ou presque. Si encore ils pouvaient mourir...

Un homme âgé, entièrement nu, éructe les paroles d'une ancienne comptine pour enfant. Il ne sait plus la mélodie, tout comme il ne sait plus qui il est, ce qu'il fait là. Ses paroles saccadées meurtrissent les tympans d'Aeron. Les lèvres du garçon ébauchent une réplique ; elle s'efface sur sa bouche meurtrie dont les gerçures saignent.

Certains ont dit qu'il y avait une vitre, là-bas, au fond. Un miroir. Du verre. Quelque chose comme ça. Une fenêtre. Peut-être pas tant. Enfin, autre chose. C'est déjà ça.
Mais Aeron ne voit rien. Il ne sait plus ouvrir les yeux. Il sent ses orbites s'enfoncer à l'intérieur de sa tête, plonger dans son être rongé par une torture éternelle. Tout se concentre autour de ce petit noyau de souffrance qui est devenu son monde. D'ailleurs il n'a plus besoin de voir. Il devient cet environnement infernal dans lequel il survit, malgré lui.

Il devine que si cette vitre représente un espoir, pour tous ceux ici présents, c'est parce qu'aucun d'entre eux n'a pu infirmer sa réalité. La pièce est empoisonnée par les vapeurs des perpétuels mourants, par des fluides morbides, des microbes... les brumes du Styx, peut-être.
S'il avait encore la force d'ouvrir ses paupières, Aeron sait qu'il ne pourrait voir cette vitre, cette sortie potentielle. D'ailleurs, la verrait-il qu'il ne pourrait la rejoindre. Il a perdu ses jambes.

Doucement, lentement, respirer. Se forcer. Ne pas penser à ce mal qui vous ronge, qui vous arrache l'âme petit à petit. Tenter d'apaiser le monstre. Refroidir la brûlure.
Que tout cela est vain...
***

Marnee se penche vers la console, balayant de ses longs cheveux roux les voyants clignotants. Le patient s'agite. Derrière la vitre blindée, Marnee voit une forme blanche, un corps. Un paquet de chair humaine, sur lequel la médecine moderne va conquérir sa gloire.
Expérimentation, comme on dit.

- De quoi a donc besoin l'homme, aujourd'hui?, demande Marnee à haute voix. Ses mots résonnent dans la salle de contrôle vide.
- Il a besoin de toi, l'homme d'aujourd'hui...
Des mots suaves rejoignent ceux de la jeune femme. Deux mains viriles, aux doigts couverts de bagues sombres, viennent saisir sa taille, violemment.
- Todd, laisse-moi, je bosse.
- Marnee chérie, laisse ton paquet griller encore un peu dans sa douleur. Ça fait un bail qu'il y est, ça ne changera rien pour lui...
Todd glousse, sans sourire. Ce qu'elle peut être mal à l'aise, Marnee, devant ce ricanement qui laisse le visage impassible. Elle a du mal à s'y habituer. Pourtant ça fait déjà trois ans qu'elle est avec Todd.

Pourquoi lui? Parce que çe serait à peu près la même chose avec un autre. Marnee l'a vu. Elle n'aurait pas du se servir du Visionneur temporel. Mais comme sa belle frimousse et sa tchatche naturelles lui attirent les bonnes grâces du Service, elle n'a pas eu trop de difficultés à obtenir l'accès. Chose aisée est toujours permise...
Alors, maintenant, elle sait que sa vie amoureuse ne lui réserve rien d'intéressant. Elle a vu passer devant l'écran du "Diseur de Vérité", comme on l'appelle, des dizaines et des dizaines de visages. Carrés, souvent, la mâchoire bien dessinée, portant la barbe parce que c'est la mode. Des yeux bleus sombres ou noirs. Et chez chacun d'entre eux, le regard hébété, vicieux, dominateur.
Alors elle a choisi Todd. Il y avait Round'pit, qui la draguait aussi. Mais le blondinet a vaincu le ténébreux.

Todd saisit Marnee par les épaules, la force à se retourner, à quitter la vitre, le corps en blanc, le lit, et la douleur qui s'y agite. Il la pousse contre le mur. Déjà, il s'attaque à son chemisier. Il y a un temps, Marnee aurait protesté. Là, elle se contente de murmurer à l'oreille de son amant:
- Tu as fermé la porte?
Todd, sans cesser ses préparatifs bestiaux, répond par l'affirmative.
- Y'a le grand boss qui doit passer, cet après-midi. Pas l'intention d'perdre mon boulot pour une gonzesse, moi...
"Tout en délicatesse", songe Marnee. Pour échapper à la vision de Todd suant et rouge d'excitation, elle se cache derrière ses longs cheveux roux.

***

- Docteur Goeffrey, on peut dire que votre clinique fait preuve de la plus grande exemplarité pour le Projet 27 que nous suivons avec attention.
Le Docteur Geoffrey, un mètre quatre vingt dix, cent dix kilos, n'arrive pas à se détendre. En costume noir, col de chemise ouvert sur le pendentif de l'Ordre de Médecine, il présente bien, pourtant. Il le sait. En le quittant ce matin avant de prendre son vol pour la Cité 9, sa femme lui a murmuré, tendrement:
- Ce que j'aime mon homme lorsqu'il a cette allure...
Le Docteur tente de calmer sa main droite qui s'agite près du verre de cognac. En face de lui, le Visiteur. Le Ministre en charge du Projet 27, tout fraîchement arrivé d'Alpha City. Huston Fridge, qu'il s'appelle. Rien d'un type glacé, pourtant. Plutôt du genre tout feu tout miel. A vous entourlouper par de belles paroles et des propositions savoureuses... Geoffrey reste sur ses gardes, mais cela le crispe.
- Bien entendu, nous sommes honorés de la visite que votre Ministère daigne nous rendre, répond-il d'une voix assurée.

Les formalités et autres politesses le gonflent profondément. Mais il sait que c'est l'instant décisif où les adversaires placent leurs pièces sur le grand échiquier du pouvoir. Il espère pouvoir mettre échec et mat ce Fridge qui menace l'oeuvre de toute une vie.
La conversation coule encore un peu, collante de précautions et de préciosités. Huston Fridge semble aimer ce jeu d'esquive, il est à l'aise comme un poisson dans l'eau. Geoffrey et lui échangent quelques remarques sur les progrès observés depuis quelques semaines. Puis ils en viennent au coeur du sujet: un cobaye très prometteur, un dénommé Aeron Bablue.
- J'ai cru comprendre que vous aviez dépassé, avec succès, les seuils habituels de douleur... D'où vient la capacité extraordinaire de cet individu?, demande Fridge
- Et bien, comme le savez sans doute, l'Expérimentation Ultime qu'a permis de lancer le Projet 27 consiste à créer des situations artificielles dans lesquelles les cobayes sont soumis à des seuils de douleurs plus ou moins élevés. Les procédés relèvent uniquement de manipulations sur le cerveau, et notamment les zones du rêve, du cauchemar, de l'imagination... D'après ce que nous pouvons savoir, les "patients" croient se trouver en situation d'enfermement, avec d'autres patients, dans des lieux particulièrement horribles. L'intérêt est de varier l'intensité de la douleur infligée aux différents cobayes et de voir l'effet de ces variations non seulement sur l'individu affecté, mais aussi sur les autres individus, qui sont "présents", quoique... hum... artificiellement, et qui voient la souffrance d'autrui.".

Le Docteur Geoffrey essaie d'être clair. Il pourrait tout aussi bien dire que le Projet 27 n'est qu'une institutionnalisation médicale d'une forme de torture particulièrement raffinée, destinée à créer une nouvelle race d'hommes, insensibles à la douleur, ou du moins très résistants à celle-ci. Mais la diplomatie n'est pas chose secondaire quand on traite avec le Gouvernement.
- Mais quelles sont donc les facultés réelles de ce garçon dont j'ai eu vent, et qui d'ailleurs, m'amènent ici...?
Geoffrey espère qu'ils ne l'ont pas envoyé pour récupérer Aeron. C'est le meilleur élément du centre qu'il dirige, c'est sa seule avance sur les autres cellules de recherche dispersées dans le pays.
- Aeron Bablue résiste depuis plus de deux ans aux effets de l'anthromorph. On pourrait dire qu'au lieu d'essayer de lutter contre cette douleur que nous infligeons à tous les patients, il en est venu, sûrement inconsciemment, à l'accepter et à s'en nourrir.
Geoffrey hésite. C'est vrai que ce garçon peut faire des miracles... Il peut ouvrir la porte à des subventions plus généreuses. Il peut même le rendre célèbre, lui, Docteur Edmond Arfan Geoffrey Jr.
- Certains de nos meilleurs spécialistes avancent qu'Aeron a fini par aimer sa douleur, par en faire son principe vital. Il aurait dépassé le stade de la soumission pour recréer le monde dans lequel il croit vivre autour de sa souffrance.
- Ses paramètres physiques et physiologiques ont-ils été affectés par cette évolution?, interroge Fridge.

"Ça y est, il accroche",
pense Geoffrey.
- L'anapole a été touché. Certaines modifications de forme et de disposition ont pu être notées.

Un silence flotte dans la pièce. Geoffrey se retient de tousser, pour ne pas indisposer son interlocuteur qui fume comme un pompier depuis son entrée dans la pièce. Huston Fridge semble pensif. En le voyant ainsi, presque rêveur, calme et paisible, on en oublierait presque le tacticien redoutable qui sommeille en lui. On en oublierait l'auteur des Massacres, il y a une dizaine d'années, comme on en oublierait le politicien qui tire les ficelles à l'ombre du Conseil...

Fridge se lève brusquement. Geoffrey fait de même.
- Et bien, je crois que notre collaboration a été fructueuse, cher Docteur.
Geoffrey attend en silence que tombe la sentence. Il suspecte plus que jamais le Gouvernement de vouloir reprendre le contrôle sur le centre et de faire main basse sur ses succès en matière de recherche.
Mais il est finalement surpris.
- On m'a chargé de vous apporter les félicitations du Conseil.
Le sourire de Fridge est amical, tentateur. Ses lèvres rouges dévoilent de belles dents blanches, un peu striées.
- Un homme de science à la renommée extraordinaire a accepté de vous apporter son appui. Lord Mangell atterrira à l'aéroport Neuf, lundi soir à 20h. Vous viendrez le chercher en personne. Vous l'intégrerez à votre équipe.

Geoffrey
n'a pas le temps de dire un mot, pas le temps non plus de marquer sa surprise ou sa reconnaissance. Huston Fridge, le "Grand Chauve", comme on le désigne avec moquerie, est déjà près de la porte. Un majordome vient l'ouvrir de l'extérieur. Au moment de franchir le seuil, le Ministre se retourne une dernière fois. Et, lançant un avertissement ainsi qu'une ultime friandise, il murmure:
- Vous avez trois mois, Geoffrey. Si vous réussissez...

***

Dans l'antichambre de l'Enfer, Aeron s'essouffle. Il se sent oppressé, comme si l'air vicieux collait à sa bouche et à ses poumons. Il est à terre, serrant le corps de July dans ses bras. Au poignet de la jeune fille, il voit quelques lettres gravées à même la peau. Des lettres de sang. M.A.R.T.H.E., lit-il. Pourquoi July, alors? Peu importe. Au-dessus du menton, sous le nez fin et droit, la bouche est devenue noire, suintante. Peut-être la peste, songe Aeron. Mais non, bien sûr que non.

Tenant le cadavre d'une main, il plonge. Encore. Tout près de la douleur. Tout au fond.
Et il inspire.

jeudi 2 octobre 2008

"La nuit", Grand Corps Malade


Ça commence par un moment d' flottement, quand le soleil recule
Un parfum d'hésitation qu'on appelle le crépuscule
Les dernières heures du jour sont avalées par l'horizon
Pour qu' la nuit règne sans partage, elle a gagné, elle a raison

En fait, j'aime cet instant, j' vois le changement d'atmosphère
Et si j'y pense un peu, j' me d'mande comment ça peut se faire
Ce miracle quotidien, le perpétuel mystère
Qui fait qu'en quelques secondes on passe du côté obscur de la Terre

Voici une ode pour la nuit, les nuits, les miennes, les tiennes
Je ne sais pas comment tu les vis, moi, mes nuits m'appartiennent
Je les regarde et je les visite, c'est mon royaume, mon château
Je les aime et c'est tant mieux parce que j'aime pas m' coucher tôt

J' te parle pas des nuits parisiennes, des lumières et des décibels
J' préfère celles du silence et d' la pénombre qu'est si belle
J' te parle pas des nuits en boîte, celles des branleurs et celles des pouffes
Je préfère les trottoirs vides, quand la ville reprend son souffle
Comment exprimer ce que la nuit m'inspire ?
Ce qu'elle nous suggère et ce qu'elle respire
Ce moment d'obscurité qui met en lumière nos fissures
L'ambiguïté en manteau noir, la nuit fait peur, la nuit rassure

En tout cas, ce qu'est sûr, c'est qu'elle influence nos cerveaux
Prends pas d' grandes décisions la nuit, tu sais jamais ce que ça vaut
Pourtant, elle peut être parfois un moment d'extrême lucidité
Et c'est souvent la nuit qu' tu crois détenir la vérité

Chaque nuit, la suspicion fête son anniversaire
Et quand tu croises un mec dans la rue, y te mâte comme un adversaire
Y a des regards méfiants, menaçants ou pleins de panique
En tout cas, ce qu'est bien la nuit, c'est qu'y a personne sur le périphérique

Mais si t'as pas de voiture, surtout loupe pas l' dernier métro
Sinon tu raques un taxi ou tu dors avec les charclo
Tu découvres alors que la lune n'est pas toujours blonde
Tu découvres la vraie nuit, son vrai rythme et son vrai monde

C'est vrai qu' la faune de la nuit est assez particulière
Y a ceux qui taffent, y a ceux qui sortent pour voir les putes ou boire une bière
La police est là aussi, alors on peut se manger quelques claques
Quand on répond un peu trop fort, lors d'un contrôle de la BAC

Dans ta nuit, la journée qui vient d' finir se reflète
Tu fais ton p'tit bilan, journée d' galère ou jour de fête
Si t'as peur du lendemain, tu penses aux proverbes un peu balourds
"La nuit porte conseil" ou bien "demain, y fera jour"

Voici une ode pour la nuit, douce nuit d'été ou longue nuit d'hiver
Nuit calme et reposée ou nuit trop riche en faits divers
Nuit blanche lors d'une nuit noire où même la Lune s'est dérobée
Je te propose juste quelques photos de notre monde, face B

Voici une ode pour la nuit qui nous a vus remplir tellement d' pages
Qu'à cet instant je la fixe sur ma feuille, comme un hommage
Elle offre aux poètes tellement d'heures sans bruit
Qu'à ce qui paraît la nuit, tous les stylos sont pris

mercredi 1 octobre 2008

Châtelet les Halles


Châtelet-les-Halles était bondé, comme presque toujours. Théo avait déjà derrière lui une longue journée de travail, des victoires plus ou moins remarquables sur des armées de rapports à rendre, de coups de fil à passer. Voilà qu'en plus il devait se traîner, se traîner, oui, voyez-vous, derrière un des culs les plus gros du monde, qui l'empêchait de rentrer au plus vite chez lui profiter d'un repos bien mérité. Quand il y pensait... on n'avait plus le respect du guerrier, de nos jours.

Il tenta une esquive, brève, incisive, rapide, du côté droit. Le monstre de cellulite, devant lui, vira de même. La collision fut évitée de justesse.
Théo jura entre ces dents: "Putain de merde, bouge-toi la grosse". Il regretta de ne pas avoir parlé plus haut; la vieille devant n'avait rien entendu (en plus d'être énorme peut-être était-elle aussi au seuil de la surdité...). Sa vulgarité outrancière ne l'avait pas soulagé. Il fut tenté de prendre son mal en patience. En réalité, il n'avait pas vraiment d'autre choix. Sur sa gauche, des groupies anglaises aux chaussures roses et aux cheveux décolorés formaient comme un hérisson ébouriffé qui glapissait fort désagréablement. Cette voie-là n'avait pas l'air appropriée pour ses tentatives de dépassement.

Avec peine, Théo finit par approcher des tourniquets menant au RER. Il avait laissé derrière lui les lignes de métro ainsi que de nombreuses particules de sueur qui devaient maintenant s'en donner à coeur joie dans ce lieu puant et collant, recouvrant les rampes d'escalators, les bornes à cartes imaginR et autres supports maintes et maintes fois palpés durant la journée par des milliers de mains inconnues.

Le vrai slalom commençait maintenant. Théo se mit en "mode précision". Son regard tombait dans le vague, il ne fixait personne des yeux. Pourtant, il voyait tout. Du coin de l'oeil, il captait le moindre mouvement, même l'ébauche d'un déplacement. Il mesurait: corpulence, vitesse, habileté, habitude... Chaque silhouette qui remplissait l'espace des Halles devenait inconsciemment un mélange de composantes diverses, une petite boule de caractéristiques qui évoluait sur un immense plateau de jeu. Les règles étaient: ne pas ralentir et ne pas provoquer de contact. Hormis ces deux contraintes, tous les procédés étaient permis.

Presque excité, Théo serra plus fermement son attaché-case. Non pas qu'il prévût de s'en servir comme arme, protection, etc... pour rejoindre le quai du RER A. Non, plutôt pour s'ancrer dans le sol de béton balafré. Les deux pieds bien à plat, la volonté tendue vers un seul but.

L'arbitre siffla le départ.

Poteau, contourné par la droite. Bref redressement, à droite encore, pour éviter une femme maigrelette venant en sens inverse. Respiration, un espace vide dans le corps fluctuant du Châtelet (Théo en venait à considérer ce mot comme celui d'un animal légendaire, d'une monstruosité antique dont les hommes ne seraient jamais venus à bout... bien plus, qu'ils auraient contribué à recréer). Deux hommes d'affaires qui se profilent, chacun dans ses pensées. Des inattentifs. Théo les détestent. Ils imposent à autrui leur hébétude, forcent les autres à s'adapter à leur marche incohérente et endormie. L'un vient de droite, l'autre de face. Théo bifurque vers la gauche. Les deux hommes, derrière lui, manquent de s'embrasser violemment. Deux vagues "Pardon", échangés presque sans animosité, mais sans conviction non plus, s'élèvent dans son dos. "Que les gens sont mous", pense Théo. Il est un peu écoeuré.

Il reprend sa route, même vitesse, même allure. De grandes enjambées assurées, le dos bien droit. Sa stature lui permet d'être repéré de loin. Peu nombreux sont ceux qui osent le défier à ce jeu de zigzag.
Attention, il doit croiser maintenant le flot des passagers sortant de la ligne 4. Il serait plus simple de suivre un peu la masse, sur quelques mètres, pour tourner ensuite, mais Théo hait par-dessus tout la simplicité. Il déteste la banalité. Quel horreur que cet animal, le mouton!

Il avance, tout d'un bloc, le bras gauche peut-être légèrement en avant. Histoire de montrer qui mène la danse à ce couple de cinquantenaires qui s'approchent, avec au visage l'air méprisant que confère le bonheur lorsqu'il se croit supérieur à tout le reste. La manoeuvre est couronnée de succès. Théo sent qu'il approche du but. Il touche à la victoire aussi sûrement que le vainqueur d'une course sent sous ses doigts le métal froid de la coupe qu'on lui fourre entre les mains.

C'est là qu'il la voit. Pas très grande, les cheveux noirs, mi-longs. Une frange qui lui balaie les yeux. Mais surtout, et c'est ce qui le frappe le plus, une démarche. Précise, brève, incisive. Rapide. Une ondulation qui se faufile entre les corps maladroits encombrant les membres du Châtelet. Théo ne peut plus détacher ses yeux de ces mouvements fluides, élégants.
Il a trouvé son maître.

La jeune fille passe tout près de lui, sans le frôler. Contrôle parfait. Elle lui donne l'impression d'avoir des jambes de plomb, d'être balourd et lent. A peine s'est-il brusquement dégagé d'une impasse pour dépasser un groupe de touristes, qu'elle est déjà passée, irréelle, évanescente. Si belle... insaisissable.

L'escalator approche. Théo attrape un torticolis, à force de se retourner pour suivre son fantôme des yeux. La chevelure noire se fait happer par le monstre.

"Bordel de merde, qu'est-ce que...".
Un vacarme innommable s'élève de l'escalier mécanique. Théo s'est cassé la gueule sur une pile de bonshommes armés de valises ringardes. Son attaché-case fait un vol plané et atterrit, sonné, sur le quai. Là il vomit ses feuilles d'imprimantes par dizaines. Le train qui passe, sur le quai d'en face, fait danser les polycopiés comme les feuilles des érables d'automne, sur les chemins canadiens. Théo, étendu à terre, embrasse contre son gré ce sol exécrable qu'il foule tous les matins et tous les soirs.
Mais il a le sourire aux lèvres, en songeant à cette nymphe qu'il a croisée...

Somnambule


Voilà. Il est minuit vingt-cinq, qu'est-ce que je fous encore à blogger à cette heure?
Comme si c'était simplement une question de timing. Back in room, la journée est finie... Mais pour l'inspiration, pour ce besoin d'écrire qui vous prend, pas d'horaires, pas de contraintes.

Les portes de part et d'autre du couloir rose s'alignent. Vos pas claquent sur le lino. La clé est dans votre main, vous entrez. Vous rentrez, plus exactement. C'est que le "r" a son importance. C'est lui qui signifie le retour, qui signifie que vous retrouvez le lieu qui vous habite plus que vous ne l'habitez.

Dehors, plus grand monde. Certes, les nuits parisiennes sont rarement vides. On y sent toujours ce murmure au bord de la rumeur, ce petit grain de voix prêt à s'élever; même le silence fait du bruit, le soir, à Paris.

L'ordinateur s'allume; les diodes clignotent comme une révélation intermittente. Le flambeau de Saint Pierre, tantôt ardent, tourné vers vous, tantôt caché par l'ombre d'un habitant de là-haut, qui passe devant le feu.

En m'asseyant sur mon lit, en laissant mon corps, mes angoisses et mes espoirs s'éparpiller dans cet espace de 12 mètres carrés (ou presque), je sens quelque chose qui se concentre. Une frustration. Le refus d'une certitude. Il y a ce dédoublement entre ce que je vis et ce que je veux, entre ce qui est et ce que je voudrais qu'il arrive. Mes doigts n'en peuvent plus de se retenir, ils attendent avec une avidité dévorante la fenêtre de texte qui sera leur vomitoire.
Non, ce n'est pas de l'art. Ce n'est pas de la littérature, ni de la composition. Rien qu'un bout de vie qui finit de gigoter là, sur la page virtuelle d'un espace virtuel circonscrit dans un grand tout virtuel.

Dans tout cela, qu'y a-t-il de vrai? Ce que je ne puis m'empêcher de raconter ici, cela même a-t-il quelque réalité? On a l'illusion de tout laisser passer, en vrac: fantasmes, inspiration douteuse, volonté de créer. On se berce avec tendresse de l'idée que , dans ce moment, on dit plus que jamais ce qui imprime sa trace au fond de nous. Comme si l'on pouvait rendre parfaitement la marque que laisse le drap sur notre joue, quand on se lève maladroitement le matin. Mais dès qu'on quitte le lit, le dessin ésotérique de nos songes secrets s'évapore déjà.

J'aurais tout aussi bien pu laisser ma carcasse rouillée dans ce grand mou de vert et bleu, derrière moi. J'aurais pu vous éviter un post qui n'a d'utilité que pour la satisfaction (maigre) et le soulagement qu'il m'apporte. Trouvez-vous impudent et vulgaire de se reposer ainsi sur les autres du repos de son coeur?
Ca ne l'est pas. Puisqu'après tout, personne n'est obligé de publier. De longues années durant, j'ai écrit, écrit, écrit... Sans jamais dire quoi que ce soit à personne.

Après avoir vu un film où les gens de tous âges et toutes orientations sexuelles sont en couple non stop 24h sur 24, on se pose des questions. Hum..., non, ce n'est pas vraiment ça. Non, n'imaginez pas que c'est une énième crise de désespoir quant à une situation sentimentale au point mort depuis... (vous n'aimeriez pas savoir depuis quand). Au contraire, c'est la lâche indifférence qu'on finit par attacher aux choses, et dont on se repaît, car on croit y voir une sorte de sagesse supérieure. N'est-ce pas plutôt le renoncement qu'on aime dans cette posture de faux philosophe?

Une petite déception illumine ma soirée. D'ailleurs, si on y réfléchit bien, c'est elle qui m'amène ici, me poussant fermement dans le dos de ces deux petits poings froids. En fait, c'est moins qu'une déception; plutôt une contrariété. Mais ce sont les petites choses qui bousculent les grandes, rarement l'inverse. Nous trébuchons sans cesse sur les angles mal polis des pavés qui couvrent nos vies; nous ne tombons guère par-dessus la rambarde des ponts. Ce sont ces re-directions permanentes et négligeables qui dictent à notre humeur, à nos envies d'écriture, leur contenu.

Cette nuit, je suis trop fatiguée pour relire ce que j'écris. Et même s'il apparaît, par la suite, que c'est presque totalement illisible, tant pis.
Cela faisait bien longtemps que j'avais aussi peu peiné sur mon clavier.