mardi 25 novembre 2014

Ravage


"... to Destruction", ©2014 offermoord, deviantart.com

Sais-tu ce qu'il y a de bouillant, d'invraisemblable, de confiné en moi quand tu apparais, quand ta présence jette une ombre désirable sur mon quotidien ? C'est comme une impuissance insupportable, une rage de vivre et de détruire, une déraison soudaine face à la lente progression du monde, face au cours indifférent du réel. J'ai des envies de déchirures, un besoin de dérèglement, de lent cataclysme, d'insoupçonnable écroulement. Il faudrait qu'on s'agite, que quelque chose de brutal et de nu se mette à trembler, à tout aspirer, à tout engloutir. Voir enfin le mur se lézarder.

J'ai besoin de sentir ce long frissonnement des choses, ce dérangement des êtres ; je ne peux vivre sans cette imperceptible sensualité du monde, sans cet imprévisible. Avec toi, la pression du réel sur mes mots se fait plus dure, plus vraie, plus vivante. Je sens, j'espère, j'attends, je souffre, je pleure, je ris, je me perds et me noie ; je vois. Je suis.

Au-delà du bois, vers l'horizon ambré, les nuages déchirés s'ouvraient sur la Porte. Les vaisseaux fusaient à travers l'orifice géant, laissant une griffe vaporeuse fichée dans la toile du ciel. On aurait dit comme un feu d'artifices imprimé sur un voile translucide, rougeoyant, tendu au-dessus de la ville avec un imperceptible frisson qui lui donnait quelque chose de vivant et de douloureux. Je voyais une pulsation se propager par endroits, retourner au néant temporel, et jaillir à nouveau dans une direction nouvelle, au rythme des mouvements du trafic, avec parfois comme des hoquets inquiétants, un dégoût ou un trop-plein.

Je pensais que tu faisais peut-être partie de ces particules dorées tournoyant au bout du ciel ; qu'avec tes espoirs tu avais pris la route de l'espace en trouvant ta place dans ce ballet poudroyant. Et que, sans cesse, tu allais et venais dans la sphère brûlée de la Porte, pour me rappeler ta présence et me dire que tu étais là, malgré tout.

Et il y a avait en moi comme un désir de dérégler cette mécanique, de briser l'indifférence des autres jouant leur partition envers et contre tout ; je sentais que bientôt, quand j'aurais terminé mon initiation, il me faudrait provoquer l'accident, être le grain de sable qui enraie les rouages, et défaire l'écheveau, éparpiller les êtres.

Amener un peu de cette rage qui me possédait aux autres, et les libérer de leurs certitudes trop répétées. Bousculer. Révéler. Mordre à même la peau, arracher quelque chose de vivant.

Bientôt, le ravage.

dimanche 9 novembre 2014

Diamonds

 

À certaines heures du soir, la fatigue s'approche, rôde et nous flaire. Elle s'insinue vaguement sous nos peaux, elle prend part à nos gestes et nous fait éprouver la pesanteur. Et surtout, par hasard, elle nous libère, rompt les amarres. Le flou peut s'installer, nous ronger sympathiquement, nous faire perdre l'équilibre. Tout pousser dans une molle lassitude, doublée d'une lucidité hallucinée. Quelque chose de transperçant émerge alors de cet informe laissez-aller, de ce lâcher prise. Pas une certitude, non. Pas une vérité non plus. Mais le sentiment d'une présence, comme le goût désirable d'une proximité. On est sur la voie.

Le bout de la route, bien sûr, échappe - pour notre bien. Mais ce souffle imperceptible, qu'on retient, cette pause que fait la vie, entre deux regards fixes habités de fantômes, c'est quelque chose de magique, un peu de poussière de fée qui nous tombe dessus et rend les choses translucides le temps d'un battement de cœur. Transparence, clarté, où l'on devine que se cache davantage ; comme l'envers du monde un moment éclairé, l'existence enflammée de l'intérieur, et qui brûle, se consume et jette sur nous son rayon nu. Et l'on voudrait soulever le coin du rideau, se brûler les rétines à la chaleur du feu. Mais non, on observe le spectacle d'ombres, on déchiffre un je-ne-sais-quoi qui passe bien vite.

On est poète, on est voyant dans une chambre nocturne, aux heures de transe.

jeudi 6 novembre 2014

Boucles

"Spiral", ©2012-2014 synth101, deviantart.com
"Spiral", ©2012-2014 synth101, deviantart.com
 

Oui, je sais bien que je t'écoute en boucle depuis hier. Je sais bien que le ressassement, les boucles, les rouleaux qui se déroulant s'enroulent toujours, les cercles, les rondes, je tourne en rond, c'est mon truc, j'y suis à l'aise comme un poisson dans l'eau. Mais justement, en ce moment, j'avance (j'essaie), je romps la ronde horrible des jours semblables, des angoisses résistantes. Et parfois, juste un moment, il faut quand même s'autoriser à lâcher, parfois alors des larmes coulent, presque ignorées, tant on les connaît. Elles ne sont plus tout à fait les mêmes qu'avant, mais elles me ramènent encore à des gouffres de doute, des horizons déployés où se fondent incertitudes, espoirs, recherche d'une transcendance et désir d'arrachement. Désormais, je musèle mes élans. Je crois qu'ils sont plus nocifs qu'autre chose ; que je n'ai plus besoin de me jeter d'en haut du ciel, de tout remettre en cause pour me sentir vivante, de détruire pierre à pierre ce qui se construit, malgré moi, dans le sillage de ma vie.

Seulement un tout petit instant, aujourd'hui je prends un tout petit instant pour déprimer.

Sans mélodrame. Juste une fatigue logée au front, les yeux brillants, des regards perdus vers les fenêtres qui découpent le ciel. Je pense un peu, trop, à toi. Parce qu'il faut bien dire que tu es là, tu es prêt à l'emploi, facile d'accès, disponible pour des fantasmes bien tranquilles au demeurant. Tu cristallises un besoin de rêves, carrefours de chemins à venir, pas encore tracés. C'est pour ça sans doute que j'arpente le croisement des routes à travers ton visage. A travers tes gestes, tes mots, tes pensées dérobées, tout ce que mon être peut inventer du tien, tout ce que je peux mettre dans l'altérité que m'oppose un homme.

Déprime douce, chaude, poétique. Déprime frisson des jours déclinants. Déprime intime, seule avec moi, dans une grande chambre à moi. Déprime qui sent bon les vêtements portés, les choses possédées depuis longtemps.

Déprime, mon chez-moi.

C'est un peu ça, oui.

mardi 4 novembre 2014

I see fire

freedom_by_iamkatia
"Freedom", ©2005-2014 iamkatia, deviantart.com

Peaux touchées, souffles ensemble, dans la grande perspective du jour qui tombe, dans le soir qui meurt et nous éteint. Poussée d'un autre, chaleur humaine, manque encore et manquera toujours, et peut-être avec toi, l'assoupissement du coeur, le silence un instant, avant de chavirer encore. Tout vibrer. Tressaillir.

Dans les notes, dissolution intime. Pulser à deux, tournoyer dans l'entre-ombres du lit, penser à avant, croire à plus tard, être là, pour une fois. Corde grattée, égrenée, caressée, tes yeux noyés, ta bouche noyau de ma conscience mourante, tes mains eau courante fuyante brûlante desséchante exaltante.

I see fire.

I see fire.

Il m'en faut plus. Sentir ce déchirement brut, cette rage de vivre, aller à l'excès, vivre par-delà ; renverser. Je veux ma vie renversante. Besoin d'à-coups, effondrements exaltations. Détours quotidiens, et certitude intime, toujours, doucement là, malgré la poussière de l'habitude, malgré la crainte de l'enlisement.

Jamais, jamais plus sais-tu je ne serai perdue, plus jamais je ne serai absente. Je me battrai pour exister. Refus de fonctionner.

Dysfonctionner, exploser, se faire mal, heurter, exploser, et savoir pourquoi

chaque jour

continuer

Je dois savoir. Je dois pouvoir croire.

Tu fais partie de cette bouleversante altérité. A distance, reste loin, que je puisse te découvrir longtemps. Échappe-moi, que nous puissions jouer ad vitam

Eternam

Et je saurai alors si le jeu en vaut la chandelle.

C'est fini, comprends-tu ? On ne peut plus faire comme si cela suffisait. Il en faut plus. Je suis prête à me disperser, à me mettre en jeu. Pour vivre vraiment. J'entre sur la piste, je marche avec vous, je suis le chemin, je divague, je traverse n'importe comment, mais je suis là, j'ai cessé d'observer sur le bas-côté passer les existences des autres.

Pour quel voyage ?

Liberté.