dimanche 4 juillet 2010

René Char, "Allégeance"

(my town, KonradB, deviantart.com)

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima ?

Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.

Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas ?

mardi 1 juin 2010

Plus la force de rien.Aligné à gauche

vendredi 21 mai 2010

Glisse

On essaie de faire des mots, de dire des phrases venues d'ailleurs, d'élever des citadelles et des pays. Lorsque le matin perce entre les rideaux, un espoir se glisse, celui d'esquisser des mondes du bout d'une plume rêveuse. Mais les heures passent sans entrain, pourtant si vite, de matinées trop courtes, absentes parfois, aux fins d'après-midi trompeuses, qui vous laissent croire que le temps s'arrête - qui vous laissent pressentir une pause, un suspens, pour goûter enfin le goût de cette journée - alors que le soir se précipite déjà, dans toute cette immobilité, pour préparer la nuit, le sommeil, le lit et les draps frippés.

Des intervalles, entre deux secondes, se glissent parfois, et l'esprit, flottant, ne sait que demeurer. Le soleil, les gens dehors et tous leurs bruits empêchent de faire un seul geste, d'écrire un seul mot, parce que tout serait empoissé de langueur, de fatigue, et d'absence. Il est si difficile de trouver un point où adhérer, notre vie manque d'accrocs. Et par-dessus cette insensible similitude, qui fait toutes les heures semblables - et seul leur nom et leur couleur, peut-être diffèrent - parfois des larmes viennent à couler, mais ce n'est jamais pour de bon. Il y a toujours quelque chose de faux.

Reste en permanence une sensation de glisse, entre le laisser-aller et le dérapage, parce qu'on ne sait plus ce dont on a conscience, si c'est nous qui laissons lentement nos pensées dériver, tourner en boucle sans pénétrer dans la matière de l'existence, ou si c'est le paysage, la ville, qui sont imperméables, si ce sont les mots imperméables.

Je regarde les autres qui marchent, il me semble que je ne suis pas à leur niveau. Je regarde les façades et les lampadaires, il me semble qu'en avançant, je ne pourrais pas les toucher. Le réel recule à chacun de mes gestes pour l'appréhender. Il me manque un contact - mais disons que ce n'est que l'humeur du jour... qui veut ça.
Pourtant, par la fenêtre, on voit l'immense ciel vide et bleu, et jaune au-dessus des toits. On voit toute cette place, dans l'espace de la vision, on voudrait en faire quelque chose. Creuser, déformer, approfondir, assombrir, contraster. Mais je ne peux me défaire du plat. Plan, platitude. De la prose aplatie.

Malgré tout c'est reposant. Mais stérile.

lundi 10 mai 2010

Valse blanche

Un soupçon de lumière montait des frondaisons vers le ciel noir ; il en flottait dans les branchages, percée de feuilles. Les déchirures de l'ombre, contre les troncs, faisaient des tâches de mousses et de lichens. Et les racines, au sol, paressaient. Mon regard, suspendu à mi-parcours, plongeait dans le trouble du soir ; mes paupières brassaient, en clignant, des rêves sans maîtres et vieillis. Il y avait, dans ce bois, l'inquiétante présence des choses qui ne se résignent pas à disparaître. En haut d'une roche pointait un rameau mort, comme un doigt tendu vers la lune qu'on ne distinguait pas. J'aimais poser ma tête contre le doux herbage au pied des chênes, quand ma jeunesse brillait encore ; mais c'était un autre temps. Des mots s'étaient envolés avec cette blancheur en perle, sur les feuilles, qui s'envole. Je regarde monter tous ces souvenirs dans des profondeurs d'étoiles. Un reste de piano s'accroche, qui laisse tomber trois notes avant de repartir.
Mon enfance rejoint d'autres cieux.
Le bois respire à petits coups, veillant dans son sommeil à laisser de la place à d'autres - aux voyageurs bercés de branches et de clarté, dont les visages rayonnent. Parfois, sans doute, une envolée de vert vient troubler le voile laiteux qui flotte sur les arbres, mais ce n'est qu'un soupir.

vendredi 30 avril 2010

Afternoons

Je déteste ces journées qui recommencent, toujours les mêmes, à chaque sonnerie de réveil. J'étouffe dans ces longs après-midi où l'horloge, entre 14h et 19h, me torture. J'aimerais que le temps passe vite, plus vite, ne pas sentir les gouttes glaciales des instants qui s'écoulent, une à une, sur mon esprit et mon corps. Tout, tout pour ne pas sentir ce monde vivre autour de moi, tout pour m'en échapper !

Perdre conscience, ne plus sentir. M'oublier moi-même, ne plus m'appartenir. Je veux pouvoir n'avoir, une heure au moins, plus existé. J'essaie de me désincarner, sans alcool ni drogues - des séries TV font tout aussi bien l'affaire. Pour affaiblir cette certitude qui braille en moi, que tout n'est que futilité. Ce n'est pas une vaine affirmation. Comment pouvez-vous ne pas sentir, parfois, jusqu'au supplice, à quel point tout ceci est horriblement douloureux, insupportable ? A quel point cette vie n'est qu'un jeu, une mise en scène inachevée ? A quel point le sens la fuit par tous les bords, et combien les mots que nous aimons lui attacher - bonheur, réussite, foi même - ne font pas le poids ?

Sans doute le pire est-ce qu'avec les années, j'ai fini par en être convaincue. Même dans les doux instants de calme où je me sens appartenir au reste, j'ai toujours au cœur une lucidité amère. Et oui, bien sûr, la vie en elle-même n'a pas de sens, c'est ce que nous faisons qui doit en avoir (m'a-t-on dit un jour). Pure rhétorique, c'est du pareil au même.
Les grands artistes sont ceux qui nous font sentir à quel point l'être est désespéré.

J'en rajoute ? Vraiment ? Ceux qui disent ça, ce sont ceux qui n'ont jamais pleuré au point de sentir quelque chose, en eux, se recroqueviller jusqu'à l'absence. Ceux qui pensent que le "coup de blues" passager et inexplicable a à voir avec le corps et les émotions, mais que les conceptions noires et fatales de l'existence humaine n'existent que portées par des mots, des raisonnements. Le verbe.

Mais toutes ces larmes n'ont pas de langage, et elles sont grandioses. Si proches de la vérité. Comme si l'âme entrait en résonance avec une essentielle fêlure du monde.

Ceci n'est pas un coup de déprime, ce n'est pas une baisse de moral. C'est davantage.

Parce que ça me donne envie de m'effacer.

samedi 27 mars 2010

Lourd. Froid. Identique. Inerte. Impassible. Pesant.

Incapable. Tremblant. Gris. Seul.

Résigné. Triste.

Fatigue.

lundi 15 mars 2010

Aujourd'hui

Un doux sourire plonge dans mon lit depuis la fenêtre de soleil. Mes draps s'ébattent en silence, l'assourdissement est proche. La lumière, en paillettes, disperse le regard sur les murs de la chambre. Tiédeur d'enfant.

Au-delà, un monde de grandes personnes, des avenues grises, et des horaires. Dehors des bruits, des chantiers qu'on construit, un avenir qu'on bricole. Je ne ferme pas les yeux, j'écoute de mon bord lointain les gens qui vivent autour. J'écoute absente.

Lent tourbillon des heures amollies sur la ville. Suspension de l'idée, au bout de la plume, du geste vers l'autre. Isolement. Sans doute au bout d'une branche une feuille s'agite. Mais ici rien ne bouge. Humeur noire qui s'écoule, sous l'éclat blanc du ciel, canaux gris, langueur qui pénètre.

Même les larmes ne savent plus naître, dans l'embrassade brune des clairs après-midi. Même les larmes, même la tristesse, s'éclipsent, persistent. On m'a dit que c'était décollement, adhérence en péril, effets sans cause : mélancolie.
Ou encore moins, grain de sable qui gratte un coin de l'âme, mot qui reste de travers, ou regard qui ne passe pas.

Dans la chambre close, on n'est jamais seul.

Souffle sans fraîcheur. Morne-ité. Encore sourire, qui ne perce pas.
A quoi bon tout cela ?
C'est un retour des vieilles rengaines d'assoupissement, à l'ombre des classeurs ? C'est une facilité, ce sont les mots qui s'échappent et qu'on écrase sur la page ?

C'est aujourd'hui, tel qu'il me vient.

vendredi 12 mars 2010

Au pays des

Boum-boum-boum. Des saccades, du bruit, tapissent un fond de cave quelconque. Des passantes penchées et craintives contournent le lieu. Je fume un énième cigare sur le seuil voilé d'ombre d'une baraque en ruines ; et mon existence s'échevèle, translucide, auprès des grands lampadaires blafards.

Je vois des cubes montés les uns sur les autres, où percent des fenêtres, où personne ne se penche. Comme un décor, carton, pâte, pierre, éboulés par endroits, s'épaulent ailleurs. Des pans de murs penchent, que l'œil veut redresser. Mais il faut croire qu'il existe encore, dans ce bordel, quelque chose d'architectural, de voulu. Il faut croire que quelqu'un a dessiné ces lignes, et puis la succession de tuiles qui cavalent là-bas, en troupeaux grossiers. Sinon, il se pourrait bien que cette ville ne soit qu'une gigantesque farce.
Un essai, défiguré, relégué au placard des ratures.

Je me sens esquissée.

Des voix appellent, en bas, dans la cave. Échos vagues, dont les marées d'alcool perdent leur force hors des ghettos. Déjà, sur le pas de la porte, leurs embruns sales disparaissent, non pas lavés par le froid, mais ralentis, puis arrêtés. Ils tombent au pied du veilleur.
Je tords mon cigare contre la brise, cherchant à préserver une futilité parmi d'autres futilités - une flamme contre la brise.
Ma tête, heurtée contre un trottoir l'un de ces soirs identiques, me fait mal, tourne à droite et à gauche pour fixer ses yeux mouillés sur l'ombre d'un immeuble, ou l'éclat d'un panneau publicitaire. Je la laisse faire. Mes jambes, aussi, tremblent un peu.
Rien qu'un soupçon de dégoût qui s'ébroue.

Des bouffées hargneuses trouent le soir jaune. Fumée en boule, prête à éclore. Des pointillés parcourent le ventre mou du ciel. Quelque grand ciseau s'apprête à lacérer sa face.

Je rentre, une main ballante au côté. La tête vide, au pays des hontes de fées.

samedi 20 février 2010

Anwyhere out of the world

Il ne vient plus personne dans le vieux salon. Et même si la porte, quelquefois, par curiosité s'entrouvre, si les rideaux ne sont pas entièrement tirés, personne ne relève jamais l'invitation à pénétrer dans ce lieu d'antan. Des couvertures tachées de vin, jetées dans un coin, rappellent d'anciens festins bavards, près de la cheminée, sous le clair de lune. Les fenêtres résonnent encore, lorsque le vent chuchote près des carreaux, de notes criardes, fantômes de chants paillards tirés de gosiers trop désaltérés.
Mais il y eut des dames, dans ce salon. Des crinolines et des volants de couleurs vives, des éventails oubliés sur les tables basses, la saveur d'un thé âcre qui reste en bouche... Les dossiers qui s'affaissent désormais gardent l'imperceptible trace d'un dos droit et fragile, à peine appuyé sur la tapisserie du fauteuil, prolongé par un cou gracieux. Des moutons de poussière cachent dans leur duvet de vieilles épingles à cheveux, rouillées, tombées de hauts chignons.
Il plane dans cette chambre le parfum suffocant des vieilleries, leur nauséeuse présence ; avec, malgré tout, de subits accès de fraîcheur qui vous serrent la poitrine au passage des courants d'air. Le balancement du soulier, hésitant, sur les lattes, déclenche des grincements mauvais, comme des rhumatismes, qui figent le talon là où il s'est posé. C'est à nouveau le silence en murmures qui noie tout le décor.
Le tendre chuchotis des fantômes fredonnant.

mardi 26 janvier 2010

Mots

Je ne sais plus écrire, tout est parti. Je n'ai plus rien à dire. Mes phrases marmonnent encore quelques rythmes rêveurs, mes mots se suivent sans trop se chahuter. C'est un peu lisse, ça brille encore, par-ci par-là.
C'est vide.

Je vois le ciel qui ne sait plus rien, les gens qui n'ont plus de sens, le temps qui passe. Mon temps qui se défait. Je n'ai plus de voix parce que je n'ai rien à crier. Seulement des larmes qui ne sont même plus belles, même plus vraies. Des coup de blues qui n'ont rien de grand.

Tout s'est éteint, tu m'as laissée.

Tu m'as laissée seule et perdue.

Regarde ma page qui reste blanche. Mes échecs s'accumulent. Plus de saillie, plus d'élan, des ratures accumulées. Un horizon de regrets, la fuite du jour.

Et ce ne sont que des mots. Ce n'est plus rien d'autre.