jeudi 5 mai 2011

Eiffel - Nous sommes du hasard


(Elle me hante depuis ce matin... Essayez.)

Je n’sais pas où je finis
Où est le bout du temps ?
Où m’évanouis-je ?
En quel amour chaud brûlant ?
Où va l’esprit
Et où se jette le bout du corps ?
En quel océan
Et au départ de quel port ?

Perdus dans tes cieux
On s’accroche à rien
Les hommes au milieu
Entre hier et demain
Dieu, tu laisses à désirer
Et nous prêtes à croire
Que de la tête aux pieds
Nous sommes du hasard

Où va l’espoir
Se dissout-il dans ta vodka ?
En quelle élégie
Pour quel sondage mass-média ?
Et où vont tous les pleins pouvoirs ?
Tu dis : au même endroit
En quel rock’n’roll-critic
Pour quel milieu ultra ?

Perdus dans tes cieux
On s’accroche à rien
Les hommes au milieu
Entre hier et demain
Dieu, tu laisses à désirer
Et nous prêtes à croire
Que de la tête aux pieds
Nous sommes du hasard

Je n’sais pas où je finis
Où est le bout du temps ?
Où m’évapore-je ?
En quel abracadabrant
Pays ? Sur tes lèvres tartares,
Sous ton manteau de bouche où la crainte de la mort ?
En quel château Cathare ?
Où est le dedans où est le dehors ?

Perdus dans tes cieux
Entre hier et demain
Dieu, tu laisses à désirer
Et nous prêtes à croire
Que de la tête aux pieds
Nous sommes du hasard

vendredi 29 avril 2011

Déluge

Derrière les croisées nues, j'apercevais le ciel s'étirant tout du long contre le dos revêche des prés, tressaillant par moments sous l'effet d'un hurlement soudain ou d'une veine rose éclatée sur le duvet de l'aube. Je collais mes paupières au verre glacé, tirant l'œil droit pour mieux voir. Les volumes flous vacillaient, se muaient en fantômes, agitaient des membres spectraux qui se ruaient violemment vers moi et cognaient à la fenêtre avec des doigts noueux. Le grand chêne du jardin se tordait, écumant sous l'averse. Il lâchait des grincements rageurs et tremblait dans le violent roulis des feuilles battues de pluie. Les toits du village flottaient sur cette mer de crachats. Ils clignotaient paresseusement au rythme de la foudre.

J'étouffai un cri. La chambre était noire et humide, les draps à terre formaient une mare blanche qui surgissait de la pénombre, où l'on aurait voulu se cacher pour échapper au monde. Mais je restai immobile, lavée par le déluge sale au-dehors, l'esprit perdu dans l'écoulement incessant des larmes. Mes ongles crissèrent contre le mur, je fermai le poing gauche et les enfonçai dans la chair pâle de la paume, trop tendre. La douce continuité du temps muselait l'orage inoffensif ; une vague tension bourdonnait à peine autour de moi, lâche et fuyante, trop grêle pour remplir le vide qui me creusait. Je regardai mieux, cherchant une violence certaine capable de me poignarder. Rien ne subsistait au fond que la triste litanie des coups de boutoir du tonnerre. La campagne tout entière éructait ces grondements sourds comme des raclements de gorge, et je crachai moi aussi des souffles lourds et rauques pour me dégager. La griffe obscure de l'angoisse me lacérait la gorge et plongeait sous mon vêtement me saisir le cœur. Je pressai par-dessus, frappant ma poitrine pesante comme pour la décoller.

Le temps gisait inerte sur la scène dévastée où couraient des chats téméraires et des ruisseaux de boue.

mardi 26 avril 2011

La corde

Encore un jour où ça s'effondre, où je m'effondre. La peur au ventre, l'angoisse lovée, près du cœur, qui tressaille et me rend fébrile. Le soleil coupant, net et dur comme l'acier d'une lame, trace des perspectives brûlantes où tout devient égal. Une chaleur de poussière, à peine rafraîchie au passage d'une brise, traîne dans les rues, s'étiole à l'ombre et conforte mes états d'âme. On peine à respirer. On étouffe en dedans. Quelque chose de tremblant s'agite au fond et secoue de cahots les heures qui coulent, le temps qui poisse. Je m'allonge, je me crispe, je me relève, je sanglote, je me gifle, je m'afflige, je m'assoupis, je m'endors.
Je me réveille.
Je me réveille les nerfs à vifs et l'esprit fatigué. Les yeux tirés de larmes fantômes. Je cherche le visage ami qui m'apaise, et seule, je coule à pic. Non. Je lutte. Je frappe du pied les abîmes banals où ma tristesse s'étend, pour remonter à travers ces nasses fétides de souffrances trop connues. J'essaie de faire danser les mots réconfortants dans ma tête, en rondes, pour qu'à force de répétitions brutales, de violences verbales, ils finissent par prendre sens. Je cherche ma raison dans des puits noirs, à travers mes rages et mon indicible impuissance, pour ne pas y sombrer définitivement.
Je vacille dans cette jonglerie de bouffon.
Il pèse sur mes jours une chape de crainte et des traînes d'angoisse ; un répit parfois me sort de cette litanie sombre. Quand la force en moi s'adoucit, je savoure l'absence, je me réjouis du rien. Je profite du vide qui s'installe en silence, dans la chambre rangée où s'égrène mon désemparement. Je me saisis, avide, d'un rire un peu forcé, d'un verre de vin où je noie des mots qui refusent de naître - où je noie des phrases mortes et des réjouissances morbides.

J'agrippe, hagarde, comédienne, le bout de cette corde sauvage et virevoltante qu'on appelle la vie et qui s'accroche à quoi ?

vendredi 1 avril 2011

Dire

Les mots ne sont pas faits pour dire, ils n'ont pas de valeur dans la chose. Ils meurent, ils s'asphyxient où naît le sens et le vouloir. Ils s'appauvrissent dans mes raisonnements, ils se perdent dans mes réflexions, car je les fais servir, sans égards, une autre cause qu'eux-mêmes. Sous le joug du devoir ils s'affaiblissent ; je ne perçois plus leurs échines vibrantes, prêtes à s'arquer pour une larme fugitive, ils n'ont plus la brusquerie des esprits farouches qu'on n'apprivoise jamais, qui passent à travers nous pour déposer sur la page, malgré nous, ce que nous sommes.
Ne tiens jamais les rênes, n'assure pas ta prise sur ces montures fougueuses.
Car ils se sont tus, dans un grand vide de tout, un grand vide de moi, à force de violences. Brimades imposées par l'idée, par le concept, par les relations logiques devenues carcans déchirants. Je me suis étouffée sur la pente aride de la critique. Je me suis mutilée.
C'était presque indolore, imperceptible. Une dégradation sans effort, un naturel glissement à terre, dans la fange des textes à thèse, à perte de vue. Sur la courbe lointaine de l'horizon, toujours le sens, toujours le fond à retenir, qui s'exhibait, difforme, hors d'une masse de mots devenus ternes, devenus neutres. Le fourmillement du devoir m'a rendu faible ; et j'ai courbé le dos ; et j'ai lâché ma plume.
Il n'y a plus de saillies soudaines, plus d'élan dans mes tripes, plus de cœur maltraité. Une semblable sobriété a recouvert mes jours - perdus dans l'uniformité terrible des perspectives, dans l'avenir adulte qui cesse de grandir. Je rêvais ma démesure, mon agonie, ma mise en branle, mon surgissement. J'étais ces lames foudroyantes qui ravagent le fait, qui détruisent le et refusent le plat. Défigurer, traverser, transpercer. Il fallait que je sois meurtrie par mes traits indomptés.
Dehors, je vois un ciel brûlé de rouge, strié de blanc, descendant près des toits pour y faire peser le soir pressant. Et alors, quoi ?

jeudi 31 mars 2011

Rêver au moyen de ne plus s'entendre vivre


Là-bas, derrière la colline, au creux du soleil, il y avait eu quelqu'un, quelqu'un qui fut moi et qui s'en est allé. Les sentiers de glace, sous le feu doux du printemps, sont restés là, à danser seuls. L'horizon habilement délavé a continué à rougir, à s'élargir, à onduler et à mourir, jour après jour, sans spectateur. On peut penser que l'herbe et les blés moutonnants ont gardé leurs longs frissons rapides sous la crinière du vent, que les épis sont tombés dans la moisson chaude. J'ai oublié. Je me suis absentée.

Au-delà, la plaine s'effaçait en claires traînées de brume. Tout était plus flou et insaisissable ; l'aurore pulsait sans force parmi les bruines, le souffle des saisons mourait au bord de mon engourdissement. Je croyais entendre les chants des oiseaux, je croyais frôler le monde du bout des doigts, encore, attraper cette vive étincelle des choses qui s'étiolait - sans certitude. Rien n'avait changé, tout était là, derrière le fantôme de mes peurs et de mes tristesses. Je ne pouvais plus voir. Il me semble qu'aux derniers jours d'automne, j'ai posé mes bagages. Je me suis assise au croisement des routes dévorées de mousse pour reposer mes muscles endoloris et mes yeux fatigués. Il y avait un roc à la toison brunie de lichens et de moisissures. Un siège inconfortable pour le voyageur des songes.

Un loup hurlait au fond de mes rêves.

La tentation froide, humide, des longs bois alanguis, me prenait au coeur, comme un puissant murmure aux mots de glace, aux promesses de fougères. Les branches nus des arbres battaient doucement ma carcasse attardée sur le bord de la vie, fouettaient ma solitude en riant. Je dormais trop profondément pour les entendre. J'imaginais, dans l'ombre des nuits, un gouffre profond et tendre, et semblable à une gorge amie où je pourrais m'étendre - et tomber. J'agrippais malgré moi les racines, les promontoires de fortune qui défilaient à toute vitesse. Le sol n'existait plus, je me sentais glisser vers l'abandon. Des sanglots me parvenait encore, sonnant étrangement dans ce monde souterrain, noyé de terre et d'humus ; les cris d'en haut n'étaient plus que des plaintes sans force, des renoncements indifférents qui ne m'obstruaient plus, qui me laissaient en paix. J'inspirai la verte fraîcheur des collines en lui disant adieu. Je dessinai d'une main les reflets rouges des renards dans les prés, j'esquissai un vol d'hirondelles sur les canopées et m'éloignai en silence.

J'avais des souffrances à nourrir.

Une vie à étouffer.

(pix : a clearing by seoulmanTED, deviantart)