vendredi 1 avril 2011

Dire

Les mots ne sont pas faits pour dire, ils n'ont pas de valeur dans la chose. Ils meurent, ils s'asphyxient où naît le sens et le vouloir. Ils s'appauvrissent dans mes raisonnements, ils se perdent dans mes réflexions, car je les fais servir, sans égards, une autre cause qu'eux-mêmes. Sous le joug du devoir ils s'affaiblissent ; je ne perçois plus leurs échines vibrantes, prêtes à s'arquer pour une larme fugitive, ils n'ont plus la brusquerie des esprits farouches qu'on n'apprivoise jamais, qui passent à travers nous pour déposer sur la page, malgré nous, ce que nous sommes.
Ne tiens jamais les rênes, n'assure pas ta prise sur ces montures fougueuses.
Car ils se sont tus, dans un grand vide de tout, un grand vide de moi, à force de violences. Brimades imposées par l'idée, par le concept, par les relations logiques devenues carcans déchirants. Je me suis étouffée sur la pente aride de la critique. Je me suis mutilée.
C'était presque indolore, imperceptible. Une dégradation sans effort, un naturel glissement à terre, dans la fange des textes à thèse, à perte de vue. Sur la courbe lointaine de l'horizon, toujours le sens, toujours le fond à retenir, qui s'exhibait, difforme, hors d'une masse de mots devenus ternes, devenus neutres. Le fourmillement du devoir m'a rendu faible ; et j'ai courbé le dos ; et j'ai lâché ma plume.
Il n'y a plus de saillies soudaines, plus d'élan dans mes tripes, plus de cœur maltraité. Une semblable sobriété a recouvert mes jours - perdus dans l'uniformité terrible des perspectives, dans l'avenir adulte qui cesse de grandir. Je rêvais ma démesure, mon agonie, ma mise en branle, mon surgissement. J'étais ces lames foudroyantes qui ravagent le fait, qui détruisent le et refusent le plat. Défigurer, traverser, transpercer. Il fallait que je sois meurtrie par mes traits indomptés.
Dehors, je vois un ciel brûlé de rouge, strié de blanc, descendant près des toits pour y faire peser le soir pressant. Et alors, quoi ?

2 commentaires:

Guillaume Lajeunesse a dit…

Baudelaire disait que la sensibilité de chacun, c'est son génie.

Je ne saurais dire, ébahi et ému devant la grâce émanant de cette prose, si tu es ou bien génie, ou bien royalement sensible. Ou les deux.

Lineyl a dit…

En ces temps incertains ou je jette mes mots sur ce blog sans plus trop y croire, je te dois un seul mot : merci.