vendredi 29 avril 2011

Déluge

Derrière les croisées nues, j'apercevais le ciel s'étirant tout du long contre le dos revêche des prés, tressaillant par moments sous l'effet d'un hurlement soudain ou d'une veine rose éclatée sur le duvet de l'aube. Je collais mes paupières au verre glacé, tirant l'œil droit pour mieux voir. Les volumes flous vacillaient, se muaient en fantômes, agitaient des membres spectraux qui se ruaient violemment vers moi et cognaient à la fenêtre avec des doigts noueux. Le grand chêne du jardin se tordait, écumant sous l'averse. Il lâchait des grincements rageurs et tremblait dans le violent roulis des feuilles battues de pluie. Les toits du village flottaient sur cette mer de crachats. Ils clignotaient paresseusement au rythme de la foudre.

J'étouffai un cri. La chambre était noire et humide, les draps à terre formaient une mare blanche qui surgissait de la pénombre, où l'on aurait voulu se cacher pour échapper au monde. Mais je restai immobile, lavée par le déluge sale au-dehors, l'esprit perdu dans l'écoulement incessant des larmes. Mes ongles crissèrent contre le mur, je fermai le poing gauche et les enfonçai dans la chair pâle de la paume, trop tendre. La douce continuité du temps muselait l'orage inoffensif ; une vague tension bourdonnait à peine autour de moi, lâche et fuyante, trop grêle pour remplir le vide qui me creusait. Je regardai mieux, cherchant une violence certaine capable de me poignarder. Rien ne subsistait au fond que la triste litanie des coups de boutoir du tonnerre. La campagne tout entière éructait ces grondements sourds comme des raclements de gorge, et je crachai moi aussi des souffles lourds et rauques pour me dégager. La griffe obscure de l'angoisse me lacérait la gorge et plongeait sous mon vêtement me saisir le cœur. Je pressai par-dessus, frappant ma poitrine pesante comme pour la décoller.

Le temps gisait inerte sur la scène dévastée où couraient des chats téméraires et des ruisseaux de boue.

2 commentaires:

Guillaume Lajeunesse a dit…

C'est magnifique, continue à écrire.

Tu prévois publier bientôt ?

Je ne suis pas du genre à faire de la publicité, ça m'agace, mais je me dis que tu aimerais peut-être mon blog, c'est en grande partie de la poésie que tu y trouveras : http://salvedetoiles.blogspot.com/

Je visitais ton blogue bien avant d'en avoir un moi-même, alors c'est en rien du ''public relations'' ;-)

Continue à écrire!

Eunostos a dit…

Ça me fait très plaisir de voir que tu recommences à écrire sur ce blog ! Bon, tes deux derniers textes sont particulièrement flippants... mais toujours aussi beaux. Et, comme Guillaume, je ne peux que t'inciter à écrire (aussi) des textes plus longs. Si tu n'as pas d'idée ou de motivation pour un texte long, pourquoi pas une nouvelle ? On en parle. Et en tout cas, continue :-)