lundi 1 novembre 2021

L'heure

 

La journée s'éteint de froid, mouillée et noire. Jour férié cloîtré par la pluie et la flemme. On a travaillé, râlé, cuisiné et mangé, soupiré, eu hâte de pouvoir s'octroyer une heure à soi. Et on n'est pas trop sûr d'en avoir fait ce qu'elle devait être, cette heure, de l'avoir sublimé à un degré d'existence suffisant, de l'avoir justifiée. Faut le dire, on se sent un peu nul, un peu en-dessous. Un peu "pas assez". Faut dire que la vie, de façon générale ces jours-ci, a ce goût d'ersatz mal composé, quelque chose de bancal et de travers, dont les mailles se défont et qui se remplit de manques. Des trous dont on sait pas quoi faire.

On a pris l'heure de trou et la fin du livre, sans conviction. On a fini le livre et on a médité un peu, pas trop, sur les dernières pages. On n'est pas trop sûr d'avoir aimé – on est mitigé, on le restera. On pense au livre d'après, lequel sur les étagères surpeuplées, qui promette une rencontre ? Car c'est ce qu'il faut à cette nuit d'automne, à sa coulée glaçante le long des fenêtres, précoce. Un autre compagnon d'heures creuses, un espoir réitéré d'arracher du temps au temps. Un livre à soi, qui protège du monde et donne quelque souffle aux journées – qui fasse tenir la route. On ne voit pas la route. On voit plutôt comme un terrain, indéfini, vague forcément, aux amas enchevêtrés, aux possibles indémêlables. Un fatras. Un truc pas très clair. Un machin louche. Et puis lourd, souvent. On a le dos qui tire et le cœur qui peine, à remonter en selle tous les jours. On a perdu la voie, comme dans Tintin. Pire : on doute qu'elle existe. On envisage la supercherie. On n'est pas très loin de supposer l'arnaque fondamentale. 

Et puis, après deux paragraphes, on se dégonfle et on se regarde avec pitié. La machine tourne dans la cuisine, le conjoint grignote dans le fauteuil, la lumière tamise un désarroi frileux. On est saisi par la modicité des choses. La vie rapetisse, on enlève les échasses. On voit le parquet brun, le bureau beige, le sous-main vert. On écrit le cliquetis des doigts sur le clavier et sa contingence. On voudrait dire l'attente qui pèse et qui ne pèse pas – le rien, qu'on gonfle en une recherche de sens. 

La nuit tombe sur l'heure. Elle passe.