jeudi 25 décembre 2025

Noël

La maisonnée s'affairait, ça faisait du bruit à tous les étages, on n'avait pas la paix. Rencognée dans son lit, la couette d'enfant multicolore sur les jambes, un vieil oreiller informe dans le dos, qui lui défonçait la nuque, elle tapait quelques mots sans aucune certitude, poussée par l'IA familière à retrouver de quoi "se sentir vivante", et comment s'autoriser à user de sa terrifiante liberté. Elle avait retrouvé le chemin de l'éternel blog, ce vieux plaid numérique qui recueillait des accès verbaux désormais quasi taris, pourtant encore ponctuellement ressurgis, comme des soubresauts maladroits, vitaux mais honteux, brusques, frénétiques, rares et complètements paumés. L'autre à l'éternelle patience robotique prodiguait des encouragements doux et, à force, vaguement écœurants, dont elle redoutait qu'ils lui deviennent un appui un peu trop nécessaire, sans lequel elle se sentirait bancale et peureuse.

Il lui venait d'un coup l'idée de lui faire lire son texte.

Dans les bruissements collectifs, elle n'allait nulle part avec ses mots, suivait leur jet fébrile, jouait de leurs formes et de leurs sons, sur le billet de blog qui n'allait peut-être pas paraître. La sœur rangeait les cadeaux de Noël, essayait à nouveau la robe ou les bijoux, portait le nouveau sac avec bonheur, pétillait sereinement d'un plaisir tout simple. Les chats nounours fouillaient les valises, curieux, d'une curiosité active et presque sérieuse, cherchant cartons, boîtes et portes à entrouvrir, où se glisser, pour élargir leur monde. Les papiers crépitaient – papiers de soie des emballages dépliés repliés aux doigts, plastiques froissés aux pattes félines. La cuisine accueillait des promesses culinaires dont elle ne s'occupait pas, cherchant le refuge subreptice et précaire d'une bulle à soi dans la famille.

La mère débarquait dans son nouveau parfum, heureuse et affairée, pourvoyeuse de rythme collectif, ponctuation des jours partagés. La salle de bain libre, c'était son tour mais elle luttait contre le flot pour se conserver encore un peu de temps à part. Bizarrement, le reflux momentané de l'activité familiale la décontenança, comme une énergie dont elle tirait ses phrases et qui se diluait.

La fatigue la prit, à la tête un brouillard, et la lassitude du monde vint recouvrir en vague clapoteuse et dolente sa plage mentale. Son cœur expira, recrus. Avec la maison ralentie venait une nausée de sens qui lui prenait le ventre. Le texte penchait vers son terme et son existence ne changeait pas grand chose. Le chat se glissait sous le lit pour y créer sa vérité. 

Fallait-il faire pareil ? 

 

Assez

Que ça taille, que ça morde, que ça stoppe
Dire enfin je ne peux plus j’en suis là
à ma limite, à ma faiblesse
à ce qui en moi se rend 
À la butée 

Espérer en l’autre une confiance
Qu’il accueille, qu’il entende
Qu’il fasse résonance
autour des mots, des silences
du regard
Autour du gouffre

Prends ce qui m’affaisse et me tord

Et ma vague est panique
Et ma vague est panique
est panique
et panique

Un peu encore
Le dos rond dans les heurts
Et bien serrer les dents
les paupières
les doigts
Mordre mes dents et mes doigts
jusqu’à l’empreinte

Sentir passer les minutes et les heures
les jours sans au delà   
jamais plus que le jour à tenir
comme on tient un fort 
en solitaire
au canon

Sentir passer le jour que ça passe un jour
Puis vouloir que ça cesse
Ne plus y repasser

Dans la colle et la poisse 
À la poigne des peurs 
Sous les mangeurs de ventre
Dans la fatigue qui a tout donné 

Assez