samedi 30 mai 2009

En souvenir du bon vieux temps


Impossible que tout se mélange à ce point, que le sentiment, la mémoire et l'intelligence ne soient plus capables de faire le tri, de disposer avec élégance les objets, là-haut, sur le mur.

Leurs silhouettes noires sur le dos de la lune formeraient des découpages d'enfants, en carton sombre, que l'on verrait plier sous le souffle de juin à peine né. On distinguerait, parmi les ours en peluche et les cubes pour jouer, des visages masculins, aux pommettes hautes, des cheveux ébouriffés allongeant le papier en longs filaments de coton.
Je suis sûre qu'il y aurait, sur le mur de mes aventures, chevauchant la muraille de mon souvenir, des silhouettes évanescentes, infiniment recomposées par le regard. Quelque forme aléatoire pour signifier le rire, et de grosses larmes artificielles, comme des pendentifs d'argent, où l'on verrait mes larmes. La passion, l'obsession qui vous noue le ventre, ça je ne saurais pas où les trouver. Peut-être dans les vides entre les personnages de mon théâtre intérieur ; sûrement dans ces moments d'absence qui font si mal et nous trouent si largement, passant sur nos précautions avec chars et chenilles. En toute dévastation.

A l'heure où ne restent que les mots, les conversations nourries de café et de chocolat ainsi que les dernières photos papier d'une ère passée au numérique pour ressusciter les morts, je ne sais que faire de tout ce bardas. J'ignore s'il vaut la peine qu'on le regarde sous tous ses formes, qu'on y démêle le bon du mauvais, les réussites des échecs, la vérité des illusions perdues.

Mais je porte mes pions sur mon dos, tel la Chimère de Baudelaire ; je porte l'échiquier et l'ensemble des parties jouées - avec les autres, avec moi-même, avec ma vie. Impossible de se souvenir de chaque coup. Pourtant il est des fulgurances brutes, violentes, qui parfois remuent l'esprit au croisement de deux rues, lorsque l'on se rappelle... un pion habilement avancé, une reddition honorable, un quatre main au piano (où l'on joue à deux).

Alors faut-il continuer à se joindre à l'entassement ? Je ne puis m'en défaire. J'y puise la force de ce qui est, ou a été ; c'est une solidité à laquelle je ne peux renoncer. Peu importe que certaines fondations soit véreuses. Il y en a toujours un pour rattraper l'autre.

Et ce sont les gens que je préfère. Ce sont les gens qui sont les plus beaux, dans tout ce bordel que je traîne derrière moi. Certains sont devenus anonymes depuis longtemps, ont le visage floutés et vacillent au seuil de l'existence. D'autres, au contraire, se sont trop souvent trouvés confrontés à mon raisonnement et mon observation, pour n'avoir pas souffert des affres de la caricature. J'ose espérer que certains, certaines, passeront en moi pour y rester, avec tout ce qu'a d'imperceptible, d'insaisissable, et d'indéniablement certain la plus petite de nos vérités.

Peut-être faudrait-il mettre un "amen" à la fin de nos cogitations. Mais notre voeu n'a pas été formulé. Il nous en reste encore trois. Il nous en restera toujours trois, parce que nous chercherons jusqu'au bout la formule parfaite, le truc pour tricher, le choix à ne pas regretter.

Et cette quête, c'est notre vie même. Il n'y a ni bonheur ni plénitude de toute éternité pour toute l'éternité. Nous n'avons affaire à qu'à mouvement, recul, avancée. Je vois le monde entier galérer sur le fil de l'équilibriste, avec plus ou moins de talent.

C'est bien plus beau que de marcher au sol. Après tout, le gain est proportionnel la mise. Nous n'avons rien à perdre à monter plus haut, sur les ailes du rêve et du pari.
La longue traîne de ce que nous avons vécu pendouillera derrière, avec noblesse et ridicule. L'important est de ne pas se prendre les pieds dedans.

(pix: Acrobat, Celeste, flickr)

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