lundi 20 octobre 2014

Abandon

 "First floor", ZerberuZ
"First floor", ©2012-2014 ZerberuZ, deviantart.com
 

Aujourd'hui, j'ai besoin de Versentre. Il y a en moi un désir de coussins, de plaids, de feu de cheminée, de chat à cajoler, de cou à embrasser, de chaleur humaine. De réconfort. J'ai besoin de réconfort. Avancer dans le doute, sans cesse, malgré vents et marées, aller à contre-courant, braver les vagues, sourire, assurer la prise, vouloir lâcher, ne pas pouvoir. Tout cela, c'est le vent hurlant qui me pousse dans le dos, la main invisible qui pèse sur mon épaule, qui appuie sur mon cœur, qui me coupe le souffle et laisse pourtant parfois la pression retomber, le temps pour moi de lâcher un hoquet

Et de recommencer.

J'image une pièce tout en longueur, avec des tentures, des tapisseries, des flammes à peine mouvantes, des bougies, une odeur de musc et de cèdre, des fenêtres embuées, une harpe qui joue, seule, dans un coin, et quelques livres aux reliures de cuir, éparpillés sur le sol dallé.

Je vois une femme en robe pourpre, col d'hermine, les cheveux lâchés, noirs bien sûr, boucles en cascades sur une poitrine blanche. Livide. Les lèvres pâles. Les yeux noirs dans le vague. Il y aurait comme un parfum d'attente et de désespoir qui flotterait sur la scène. On sentirait la peine et l'angoisse surtout, lancinante, noyant cette silhouette étendue dans le tissu sombre d'une méridienne. Je crois qu'il faudrait beaucoup de courage pour rester là, accepter cette douleur flottante, éprouvante, et continuer à regarder cette femme, à noyer son regard dans ses cheveux d'encre et ses prunelles de cendre.

Je resterais, moi, à l'envisager, dans sa pose alanguie, dans son délassement incertain, inquiet, dans son attente démesurée. Je ne prononcerais pas un mot, mais je ne pourrais m'empêcher de chercher ce qui arrête le temps dans cet antre doux et moelleux, dans ce salon délaissé et perdu. Je chercherais peut-être à lui faire tourner la tête, ou seulement le regard. A pénétrer sa fragilité de poupée glacée.

Il y aurait peut-être un veston d'homme abandonné dans un coin, noyé de poussière grise. Et on pourrait croire alors, si l'on voyait ce veston, et si l'on faisait preuve d'imagination, si l'on se vantait de pouvoir sinon lire, du moins inventer les êtres et leurs plus intimes pensées, leurs secrets fugitifs, on pourrait à cette condition croire que le temps figé sur la scène aurait à voir avec un banal veston de laine grise abandonné dans la poussière.

Si j'avais cette assurance de celui ou celle qui dit les choses, qui les crée, je pense que j'y croirais moi aussi, à ce vêtement abandonné qui arrête le temps. Car ce serait la seule explication.

Le départ. L'abandon.

Il faudrait croire à ce veston, pour être sûr de saisir. Parce que les mots veulent toujours croire qu'ils ont compris.

Mais après tout, vous pourriez tout aussi bien lire la page entrouverte d'un vieux roman sentimental, arrachée par d'anciennes querelles d'amants, béant là, sur le marbre. A terre. Vous pourriez trouver la clef du temps dans un portrait d'enfant, au mur, souvenir poignant, portrait d'enfant parti, parti trop tôt, et qu'on aurait gardé là pour empêcher l'oubli ravageur de faire son œuvre.

Il y a dans cette scène tant de raisons à l'abandon. Tant de choses pour expliquer ma longue et lente disparition

Dans la pourpre d'une robe

Dans le tissu sombre d'une méridienne

Dans la clarté molle des flambeaux et l'ombre insidieuse du temps

Qui vient qui passe

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