vendredi 12 décembre 2008

Auréoles


La vapeur mouillait les vitres d'auréoles éphémères qui allaient et venaient sur la surface brillante. Je regardais ces bourgeonnements rapides; un clin d'oeil, les cils posés contre la joue, et l'instant d'après, un autre cercle avait fleuri. Je serais restée là toute la nuit à me perdre dans la buée des taches, là, à la fenêtre, sans rien voir autour, sans rien voir derrière; mais quelque chose, il faut croire, me poussa à détourner les yeux. Mes iris se décollèrent de la peau translucide et mouchetée, pour aller se poser ailleurs, papillonnant. J'avais peine à faire cesser leurs tremblotements; on aurait dit des sanglots. Mais bien sûr, pas un son ne tombait de mes lèvres. Elles était serrées, elles cloîtraient mes interrogations à l'intérieur; de sorte que je ne disais mot, de peur de tout laisser sortir.

Je vous écoutais parler, vous étiez devant moi. J'étais l'écran tout blanc, je réfléchissais vos rires et vos silences. En ondes aléatoires, les remous de la conversation venaient s'échouer à mon bord; je n'y nageais pas mais m'y laissais flotter. J'avais la tête dans l'eau, j'immergeais mes pensées; pas avec les vôtres, mais pas tout à fait ailleurs non plus. La scène était un peu en contrebas, où vous échangiez des paroles quotidiennes et amusées. Du balcon j'aurais voulu sauter. Mon menton se réfugia dans le creux de ma main. Les sièges au tissu rouge, autour de moi, avaient été désertés, plus personne ne demeurait dans la salle vide. Seulement, sur le plateau, quelques costumes que le comédien, en les enlevant, avait privés de vie; pourtant ils tressaillaient encore, voulant dire plus qu'ils ne le pouvaient, jetés là dans la poussière des projecteurs. Plus personne ne demeurait dans la salle vide.

On me parle, je crois. Je reviens à moi. Un sourire, qui veut dire tout et son contraire. Si ça ne rassure pas les autres, ça leur donne au moins le droit de ne pas se sentir coupables de leur impuissance. Les gens sont malheureux, tout le monde le sait; tout le monde sait aussi que c'est insupportable, ce malheur qui suinte des êtres. Parfois, quand vous voudriez aller bien, quand vous en êtes à deux doigts, juste là, tout près... lui, ou elle, ou eux tous, sont trop semblables à vous; à travers les silhouettes de ces gens qui traînent les pieds derrière la vie, tant bien que mal, vous voyez votre frêle silhouette s'agiter dans l'incertitude.
Je déteste les miroirs humains. Parce que j'en suis un.

La vapeur mouillait les vitres d'auréoles éphémères qui allaient et venaient sur la surface brillante. Les larmes collaient sur la joue un peu creuse. A l'intérieur, c'était humide, flottant, inconsistant. A l'extérieur, ça avait l'imperturbabilité du marbre; sa froideur aussi, sa rigidité. Peu importe, ça tenait. On pouvait s'en convaincre, à force d'en convaincre les autres.

Je sortis. Dehors, le temps était glacial, il vous prenait à la gorge, vous étouffait. Pas d'hypocrisie. Il vous rendait cette violence que vous ne saviez pas vous donner. Le sursaut pouvait être salvateur.
Je mis mes gants et rentrai le long des vitrines éclairées; les ombres se cognaient, fugitivement, sans réel heurt, mues par les longs faisceaux des phares qui tournaient, autour. Derrière moi, il n'y avait personne. Rien que des inconnus et des pas qui suivaient les miens. J'étais insérée parmi les autres; je n'aimais pas, mais je m'en contentai. Je n'étais pas sûre de pouvoir me soutenir seule.


(pix: Breath, by Synconi, deviantart)

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