dimanche 30 novembre 2008

Etre quelqu'un, c'est flotter entre soi et les autres


Je souffle plusieurs fois, ma respiration est capricieuse, l'air qui s'envole en buées claires, dans l'obscurité, fuie mes poumons. Pourtant, pas d'oppression; j'ai juste un gros vide au coeur de la poitrine, peut-être parce qu'enfin je me suis débarrassée de tout ce à quoi je pensais.
"Si seulement je pouvais ne pas m'emmener!", s'écrie Edouard, dans Les Faux-monnayeurs. En fait, c'est bien de moi dont je me suis débarrassé. C'est étrange, comme sensation... ça fait planer. J'ai encore un reste de ritournelle, entendue à la radio ou ailleurs, parmi les sourires et les rires d'amis, autour d'un saladier de pâte à crêpe; comme quoi, il y a toujours un petit rien du tout qui reste à remuer, en bruit de fond, qui gigote sur la toile devenue immaculée de mes réflexions quotidiennes. J'apprivoise l'absence et l'effacement.

Et bien sûr, les gens croiront que c'est moi qui parle, moi qui écrit. Moi-même, je ne sais pas trop quelle est cette personne qui s'exprime sur fond musical d'ambiance. J'aime mieux penser qu'il s'agit d'un autre, sans visage, sans nom, sans destin. D'un pantin de liberté, qui me dicte ses mots plus que je n'invente ses gestes. Cela me repose, je sens la main chaleureuse du personnage posée sur l'épaule de l'auteur, le rassurant... Quel comble! Mais eux, ces êtres de papier, ont droit à toute notre considération. Que serais-je sans toi, qui vint à ma rencontre?
Pas grand-chose; quand je viens te chercher, je te perds, tu m'échappe, nous nous ratons. Une rencontre qui n'a pas lieu, ce n'est rien. C'est ce qui aurait pu être possible, ce qui aurait pu exister; du factuel, du contingent. Mais dès lors que nous croyons que c'est ce qui aurait se passer, nous ressentons l'échec. Cela suppose de croire en une légère rigidité de nos vies, quelque chose de l'ordre de la causalité, de la destinée, ou de la probabilité. Finalement, ce n'est pas tellement liberté que tout cela.

Waisting my time, in the waiting line, je tirai plus longuement sur ma cigarette, rejetant par petites bouffées mes bouts de pensées sans substance. Les filaments de rêverie fuyaient de mon organisme, passant sous ma langue desséchée, ressortant d'entre mes narines comme des flots indolents. Je pourrais être sur un quai, là où les fourmis humaines viennent et repartent, là où la notion de chez-soi, de foyer, peut prendre un peu plus de sens. Je vois les wagons sales qui déracinent des êtres, provisoirement. Comme des boutures qu'on place dans des vases remplis d'eau, avant de les réimplanter, au même endroit, qui ne se ressemble plus, car il a (un peu) changé.

Ma clope est terminée, d'ailleurs il n'y a jamais eu de paquet. Je tourne la tête, lentement, cherchant à ralentir la course des gens autour. On m'appelle, je crois. Je me retourne; un visage ami, un sourire. Il n'en faut pas plus pour m'inciter à répondre. Au ralenti, cela ferait une superbe scène de retrouvailles pour un film sentimental.
Nos épaules se touchent. Elle est si belle. Ses lèvres pressent les miennes, l'odeur veloutée de son cou se coule au creux du mien. Je voudrais rester là longtemps, trop longtemps; mais je peux ralentir la course des aiguilles dans le cercle étroit du monde. Heureusement... les heures passent, nous restons immobiles, à nous accrocher l'une à l'autre. Deux étoiles en perdition, deux songes enlacés. Voilà ma rencontre. Moins sublime, plus intime. Le sifflement des annonces bourdonne dans les hauts parleurs. Train en direction de Lyon, départ voie trois dans neuf minutes. Je ne partirai pas, je resterai là blottie dans ton écharpe. Je sais me faire minuscule pour te laisser plus de place...

Encore une mélodie qui tourbillonne dans la fumée du mégot échoué près du clavier. Je ne sais pas ce que j'ai dit, tout est passé à travers moi. Je n'ai pas avancé. J'ai regardé mes phrases passer à côté de moi sans les connaître. Flottant dans l'espace agrandi du soir, où s'allument les imaginations comme les décorations de Noël qui commencent de poindre aux joues des maisons, je garde le souvenir d'un baiser, la pression d'une découverte, à nouveau. Je me sens bien, ailleurs, ici, entre deux. Je me déforme, avec plaisir, pour me faire différente. Comme elle, comme tant d'autres.
Qui peut parler ainsi, et offrir ses mots à la lecture des autres? N'importe qui, n'importe quoi. Ce n'est pas rien de respirer, avec peine, les effluves du monde qui tourne sur lui-même.

(pix: 60547, by Kubicki, deviantart.com)

3 commentaires:

Anonyme a dit…

J'aime bien, mais...

Et je ne sais pas quoi mettre après ce "mais". C'est assez envoutant mais peut-être trop décousu, et encore, ce n'est pas le mot. Disons qu'on ne voit pas toujours très bien où tu veux en venir.

Lineyl a dit…

Hum, disons que c'est le but...

Anonyme a dit…

Je m'en doute, mais...