jeudi 26 mars 2009

XVII. L'Etoile

(pix: The star - tarot, Sanja, deviantart.com)

Il y a une étoile au fond, quelque chose percé d'éclats, au corps gonflé, et blanc. Ça tient le milieu du décor, c'est presque trop grand; j'y noie des larmes claires. Trop brutal, trop tranché; comment veux-tu que je regarde ça? Toi, tu lèverais les yeux vers cette palpitation mourante, vers cette agonie blanche?

Dommage, peut-être qu'on sentirait un pincement, si on pouvait s'approcher. Peut-être qu'on souffrirait tant que le monde ne pourrait que changer. Comment croire que tout puisse toujours rester indifférent? Moi je n'ai pas cette patience... Alors j'exige de cette horreur, de cette étoile difforme, au fond, qu'elle ne l'aie pas non plus.
Sa lumière se convulse, encore et encore, on dirait des hauts-le-coeur qui ne cessent pas. Je lève la tête, les coulisses s'échappent du plafond pour monter au plus haut (des cieux), comme s'ils voulaient sortir. S'échapper avec eux, moi je voudrais bien.
Et donne-moi ta main, je la prendrais avec moi. Et tu me resteras, un peu, comme ça.

Elle tremble, l'étoile blanche, et je ne peux pas détourner ma vue de sa couleur de mort. Le corps froid et rigide d'un mort. Un cadavre qui se retourne dans sa tombe, qui refuse de se laisser couvrir d'oubli et crache encore un souffle d'air à travers la terre fraîchement retournée de son tombeau.
J'ai le goût de cette terre dans ma bouche, et mes mains se déforment, percées elles aussi d'aiguilles longues comme des mondes qui se fuient. Ce n'est pas juste, tout de même; tout passe en moi et me blesse sans me voir. Je ne mérite même pas qu'on me remarque quand on me fait mal. Mais si je me fondais en elle, la dernière douleur mortelle, l'abomination qu'on me fourre sous le nez, alors je serais grande et belle comme la Faucheuse, je serais ce que tous les hommes regardent, même si c'est du coin de l'oeil.

Je donnerais mes mots, j'abandonnerais en chemin ce à quoi je n'ai jamais tenu. Il faut se dépouiller pour arriver là-haut. Je suis encore chargée de fausses croyances, d'espoirs mal ficelés; c'est normal que tout me semble si lourd.
Tandis que si je pouvais n'être que cette succession de dimensions brûlantes, étirées, acérées, qui se défient et font éclater la structure des choses, alors je dépasserais tout.

Attends! Je viens m'accrocher à toi, me défigurer dans ton sein blanc. C'est le seul moyen pour que tu cesses de me regarder en face. Je veux voir à travers tes yeux, ma belle étoile de mort. Tant de mortels m'entoureront... Et même si c'est difficile, même si ça fait mal de se laisser déchirer pendant l'éternité, au moins je saurai qu'il n'y a plus rien à espérer. Ce sera le dernier espace à occuper, la dernière perspective à tracer.

Et si toi, en bas, tu ne lèves pas les yeux vers moi quand je serai cette palpitation mourante, cette agonie blanche, alors ne crois pas pour autant m'échapper. Je serai l'horizon de ta vie entière, l'anse de tes pas, le berceau de tes mots. Rien de ce que tu seras ne me sera étranger. Tu vivras, tu mourras face à moi. Tu existeras dans ma présence torturée.
Oh, je sais, tu t'en moques. Tu ne crois pas à mes délires. Tu ne crois pas qu'il y ait cette monstruosité qui t'attende, au fond de la scène. Eh bien, c'est du théâtre. On conserve toujours un temps ses illusions.

Mais je te les déroberai.

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