lundi 13 avril 2009

Rainbow Days


(pix: Rainbow Days)

La main éraflée cornait la page. Le regard, dans le flou, en percevait le mouvement ressassé. Les lignes de la feuille, bleues et rouges, rouges et bleues, pâlissaient dans la buée claire de l'après-midi.

C'était le printemps, une saison pleine de promesses, aux horizons découpés par l'aventure et le renouveau. L'aube rêvée des contes de fées. Les acteurs, sur scène, attendaient le lever de rideau, le sourire un peu crispé, mais l'excitation au coin des yeux. Les cils battaient trop vite et certaines pupilles, dilatées par l'impatience, tournaient leurs gouffres noirs, avides, vers un futur trop lent.

En bref, l'année s'apprêtait à voir éclore les massifs de fantasmes et les parterres d'espoirs. La main éraflée, qui cornait la page, et le regard, dans le flou, faisait partie du décor, même s'ils n'en avaient pas (encore) conscience. Je suppose que j'aurais pu le leur dire et passer par-dessus mes lignes d'écriture pour leur chuchoter: "Pchhttt, par là! Regardez, c'est le printemps des romans qui vous pend au bout du nez. Impossible de vous en dépêtrer! Vous serez pris dans la naïveté rose bonbon qui colle au coeur. Personne ne résiste aux friandises..."

Mais peut-être ne m'auraient-ils pas écoutée, pas comprise.

Alors je les laisse là. Je laisse la main éraflée, aux doigts bien dessinés, aux ongles courts et poignet fort - à coup sûr une main de garçon - et le regard, flou, encadré par des cils allongés au mascara - des yeux de filles, à coup sûr - se débrouiller tout seul. Ils s'en sortiront bien.

D'ailleurs la pauvre page cesse d'être torturée. Le bras, au bout duquel s'agitait frénétiquement la main, se raidit. Son propriétaire doit tendre plus attentivement l'oreille. La voix de l'intervenant, devant, se fait plus nette; les mêmes mots s'entendent plusieurs fois, comme s'il revenait sur ses propos. Le principe de l'insistance, la répétition comme vertu pédagogique. Oui, c'est sans doute cela. La main, qui porte une chevalière d'argent, saisit le stylo abandonné sur la table. Quelques lignes de gribouillis, un arrêt... une hésitation?

Le regard a quitté le flou du désintérêt pour tenter, l'espace d'une phrase et demie, de saisir quelques remarques pertinentes sur... sur quoi déjà? Les paupières glissent le long des iris brillants. Je dirais qu'elle est triste, mais ce n'est qu'une supposition. Peut-être est-ce la fatigue qui tire ses traits et la fait paraître songeuse. Mais à l'intérieur, c'est le coeur qui se morfond, j'en suis certaine.

Le bras glisse vers la droite. Au creux du coude, le pull est remonté, dessinant des bourrelets de coton noir qui sentent bon. Elle aime respirer ce parfum. Il se penche davantage vers elle. Un mot qui s'est échappé, une explication qui ne trouve pas sa fin. En gros, un blanc à combler dans la succession des pages et des pages de notes qui s'accumulent, depuis le début de cours, sur le coin martyrisé (lui aussi) d'une pochette carton.

Mais elle n'en sait pas davantage. Tout près du cou blanc, les deux épaules se lèvent en signe d'ignorance. Le regard, à nouveau assuré, sourit avec douceur. Il croise l'autre regard, pendant un tout petit moment, le temps d'une seconde, le temps d'une déclaration. Puis il se détourne, presque avec fureur. Une colère qu'elle nourrit contre elle-même. Les coeurs d'artichauts ne sont pas toujours satisfaits de leur condition, quoi qu'on en dise.

Les cils se baissent, et rencontrent, de loin, la main désormais posée à plat sur le plastique de la table. Les yeux en détaillent les contours. Cela semble encore permis; moins intime, tout aussi rassurant. Il faut croire qu'elle trouve du réconfort dans la vision de ce poignet où les os saillent à peine.
Et puis le flou revient, le regard se noie dans une brume persistante.

La main, de nouveau confrontée à son oisiveté, entreprend, sans méthode, d'achever le coin de la page. Les doigts s'agitent, comme pour accélérer le temps. On pourraient croire qu'ils ne pensent qu'à eux, qu'ils se nourrissent de leur impatience et en oublient le monde, les gens autour et elle, juste à côté.
C'est sans doute vrai.

Mais ce printemps, mais cette lumière qui s'insinue partout, mais ces sourires qu'on ne peut réfréner, me disent autre chose. Je vois l'écart entre les deux corps se réduire, ce n'est sans doute pas un hasard. Même si le murmure du professeur est sans variation aucune, si l'immobilité semble le maître mot de cette après-midi désormais bien entamée, je crois que cette main voudrait bien pouvoir se poser ailleurs. Elle souffre d'un contact absent qu'il est douloureux de réfréner.

Bien sûr, c'est moi qui tiens les rênes, et l'on pourrait me reprocher les hypothèses que je fais peser sur mes personnages.

Sans moi ils ne seraient rien.
Pourtant ce sont eux qui m'imposent leur fin. Ils concluront quand bon leur semblera, comme il leur semblera. Je ne puis apposer ma signature au bas de la page. Mais j'ai bon espoir...

C'est le printemps charmeur qui les frôle. Et ça change tout.

2 commentaires:

Eunostos a dit…

Pas mal, on dirait Pirandello mais en plus prudent ^^ Je me demande ce qui t'inspire. L'image qui va avec est bien assortie, en tout cas.

Tsum a dit…

J'aime définitivement tes images. Et la chanson que tu a mise en blogger ne dure que 30s (elle est coupée en plein crescendo), ce qui est dommage car elle partait bien :)...