vendredi 26 septembre 2008

Dégoût


Paul renversa la pile d'ouvrages en équilibre sur le coin du bureau. Les manuscrits, les couvertures déchirées et les pages cornées s'évanouirent un instant puis se rappelèrent violemment à la réalité dans un boucan épouvantable. Ca faisait du bien. Le gamin lorgna avec envie sur le vase tout proche, grossièrement teinté de bleu, et dans lequel songeaient, paisibles, des marguerites desséchées. La main s'approcha, vicieuse, sans faire de bruit. Les doigts se saisirent de l'objet innocemment rêveur.
Des éclats de verre vinrent rejoindre le brouhaha de papier qui couvrait le parquet.

Paul se tourna vers la fenêtre entrebaillée. Il étouffait dans cette chambre, comme si la moindre molécule d'oxygène avait fui l'espace de ces quatres murs que baignait la clarté fade du couchant. Le ventre rond du ciel était percé en maints endroits par les tours de béton découpées à l'horizon. Le paysage était insupportablement indifférent, identique, froid. Paul sentait qu'il n'en pouvait plus de cette immobilité. Il était au bord de l'abandon. Il savait qu'il finirait par appartenir à part entière à ce territoire insensible où les gens s'ignoraient, où les vies s'ignoraient, où la vie s'ignorait.

Des lignes blanches de vapeur suivaient, flageolantes, de vieux vaisseaux rafistolé à la va-vite. Pas une tête humaine ne se mouvait en bas, sur les trottoirs gris.

Paul serra plus fort la lettre, dans sa main. Le certificat de décès l'informait que l'enterrement de son père serait entièrement aux frais du gouvernement de la ville. La netteté des phrases, leur tranchant pathétique avait achevé de le bouleverser. Il se sentait dans une rage monstre, comme si toutes ces conventions administratives, qui refusaient de pénétrer, du moins officiellement, son intimité, n'en devenaient par là que plus indiscrètes et répugnantes. D'un geste ample et rapide du bras, il vint prendre l'oreiller de plastique vautré sur la chaise, derrière lui. Le rectangle de tissu jaune, imperturbable, poursuivit son vol plané au travers de l'ouverture, et se mit à filer, sans hâte, vers le bitume. Paul espéra un instant qu'il heurterait un convoi officiel, un bâtiment de nettoyage des rues, ou même un simple aérospace de tourisme.
Cela, au moins, aurait signifié quelque chose. Cela aurait voulu dire que lui, Paul, aurait pu, ne serait-ce qu'une fois dans cette journée, créer, décider, agir... Changer ce cours immuable des choses, braquer le gouvernail vers la tempête adorable qui nimbait de vagues, au loin, la promesse d'une rédemption.

L'oreiller se laissa glisser, indolent, jusqu'au sol, sans rencontrer d'obstacle. L'impact produisit un léger bruit.

Écoeuré, Paul en voulut à la gravité.

(pix. by 0837 deviant)

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