jeudi 25 septembre 2008

La nuit nous appartient


Quelle journée!

Remplie à ras bords, dégoulinant de minuscules détails d'une précision et d'une ponctualité écoeurante. Au final, rien d'intéressant à en tirer. Pas même trois lignes (pas même une!) qui mériteraient de figurer dans ce post.

Et pourtant, si les sombres héros de l'Antiquité Grecque savaient... Nous avons frôlé l'épopée!
Il y eut ce corridor poussiéreux dont le parquet craquait sous les pas endormis, il y eut cette foule, cette masse humaine qui préside aux grands tournants de l'histoire. Un peu comme les données sociales, économiques et anthropologiques qui posent les bases de la psycho-histoire de Fondation chez Asimov: c'était un mastodonte, un monstre lourd et indomptable, incontournable, inévitable. Les corps des élèves debout, seuls, perdus sous des buissons de photocopies, semblaient faibles et désarmés. Mais ensemble, ces silhouettes trop fines devenaient brutales, se dressant là entre moi et mon inscription pédagogique de fac comme le piège entre le rongeur et le morceau de gruyère. Pas d'autre choix que de rejoindre l'immonde chenille aux segments humains.
C'est l'attente qui commence.

Et cette imperturbable rien-du-tout, cette tension qui empoisonne l'air sans rien constituer de palpable, n'est-ce pas digne des plus grands thrillers? On poireaute, on en a marre, on en a plus-que-marre... et on reste. N'est-il pas héroïque de repousser ainsi les limites du ras-bol? Des alliances se nouent, des sourires s'échangent avec certains des êtres condamnés comme vous à rouler leur carcasse affaiblie vers une destination inconnue (car la ligne zigzagante des têtes s'enfonce vers le lieu de la délivrance sans qu'on puisse en distinguer nettement la fin...).

Les heures défilent, encore, encore (et quand je parle d' "heures" ce n'est pas une façon de parler... j'ai des témoins!). Le plus étonnant est qu'elles s'entourent d'un mystère non conforme aux sécheresses de l'administration. Certes, vous avez coché, sur cette feuille d'un jaune criard, le TD qui vous "intéresse". Certes, vous avez fait un choix, vous avez tranché dans le mou comme on plante un couteau aiguisé dans un gâteau trop peu cuit (pas de remarques ricanantes sur mes exemples culinaires!). Mais toutes vos actions restent nimbées d'une auréole nébuleuse, entre les hautes sphères de la décision et les brumes basses de l'incertitude. Il faut bien avouer que vous avez fini par "mettre au pif".

Et bien, croyez-moi ou non, ce n'est pas si facile. L'esprit humain a énormément de mal à abandonner toute maîtrise sur les choses, à s'en remettre au pur hasard. Il s'agrippe sans cesse aux grilles, cases, questionnaires comme un skieur débutant au téléski dont il vient de tomber; il y cherche des logiques cachées, choisit des numéros de groupe, des plages horaires selon des procédés ésotériques ("oui, tu comprends, mon 2 est le chiffre porte-bonheur...")... Tout pour ne pas se retrouver à conclure, au final, que le résultat aurait été sensiblement le même si les réponses avaient été données par une môme de 5 ans armée d'une boîte de crayons de couleur.

Rude épreuve, donc, que cette matinée! L'après-midi sera sur cette lancée.
Mais les fins d'aprèm' ont des charmes qui se dissimulent d'abord, par pudeur, et se dévoilent au coin des 20h pour nous surprendre agréablement. Les acharnements trop vains de la journée finissent par se résigner; les soirées DVDs chaleureuses, confinées entre rires débiles et questionnements tout aussi stupides (ou comment matter deux films à la fois: celui qui gigote à l'écran de l'ordi, et celui que vous racontent vos camarades de watching...) sont leur défaite. Le beau flottement des 23h, entre sommeil et excitation, se savoure délicieusement autour de gâteaux japonais. On gobe des mots et des silences, sans se rassasier.
Et on accepte volontiers que la nuit soit gagnante sur le jour.

(pix: deviantart.com, gilead)

3 commentaires:

Flo a dit…

Sublime ton poème là.. "mythe amoureux". C'est bien de toi?
Contente de lire de nouvelles choses de te retrouver toi et ta plume... signé : une fan de la première heure

KhâlmarTsum a dit…

" Certes, vous avez fait un choix, vous avez tranché dans le mou comme on plante un couteau aiguisé dans un gâteau trop peu cuit "

Moi j'aurais plutôt dit : comme on plante un couteau aiguisé dans son café en croyant viser son gâteau trop cuit, en ces heures où "la nuit (est) gagnante sur le jour", parfois pour le meilleur, et parfois pour le pire :)...

Lineyl a dit…

Ouah, deux commentaires d'un coup...! Merci les filles.
Le poème est bien de moi, Flo. Une inspiration soudaine, empreinte de mon quotidien. Lol.