dimanche 29 juin 2008

H20


La chaleur de l'attente s'abattait sur la ville. Les visages étaient las et luisants, comme si par leur pores débordait un trop plein de fatigue. Plus un souffle ne murmurait. Les paroles du vent s'étaient évanouies puisqu'on ne les écoutait plus. Maintenant les hommes avaient chaud, ils avaient le gosier sec. Ils avaient soif. Mais c'est seulement leurs corps qui réclamaient le liquide salvateur. Leurs coeurs avaient durci bien des années avant, en eux rien qu'une croûte qui s'effritait toujours.

C'était là spectacle désolant; dans les rues où il ne pleuvait plus, des silhouettes gris poussière s'étaient figées, et si elles n'avaient pas la grâce de ces statues antiques où le repos de l'éternel a élu domicile, c'est qu'elles tremblaient parfois, frissonant quand un regain de vie crépitait dans leurs âmes, les surprenant elles-mêmes.

Et sur les vitres où il ne pleuvait plus, des doigts ennuyés avaient tracés des cercles irréguliers, comme des errances sans fin. Dans les jardins où il ne pleuvait plus, les massifs fleuris avaient tapissé de brun les parterres, comme s'ils avaient fané avec un automne précoce.
Toute joie s'était tarie, le monde même avait soif d'un ailleurs fertile.


Un homme sage dit qu'il fallait sacrifier aux dieux, pour apaiser leur colère qui accablait les hommes. Mais les dieux refusaient de faire pleuvoir le ciel. "Vous avez soif, disaient-ils; vos bouches, vos jardins, vos lacs son desséchés. Tout sèche autour de vous, lentement. Oui, vous étouffez, mais ce n'est rien d'autre que vos sens malmenés qui prient sur nos autels. Vos coeurs ne peuvent trouver miséricorde auprès de nous, ils sont trop arides pour que rien puisse y féconder un sol heureux. Vous vous êtes condamnés vous-mêmes, bien avant que le manque d'eau fasse naître de vos bouches ces lamentations, à vivre dans une prison désertique. C'est vous qui avez choisi cela".

Ainsi parlèrent les dieux par la voix de l'oracle. Et les hommes ne voulurent pas croire qu'il n'étaient victimes que de leurs propres fautes. Ils coururent après d'autres cultes, d'autres divinités. Ils devinrent de jour en jour plus absents à eux-mêmes. Chacun prétendait, seul, avoir trouvé la foi véritable.

Mais il ne pleuvait toujours pas.


Un matin, le monde de ces hommes fut tellement asséché que leurs maisons s'effritèrent en grains de sable emportés sous l'effet d'une bourrasque. Le plus étrange était qu'ils n'avaient pas à déplorer un seul mort depuis ce fameux jour qu'ils appelaient maudit. Ils avaient tous terriblement soif, en permanence, nuit et jour, quoiqu'ils fassent, quelles que soient les pensées qui occupaient leur esprit. Si bien que, ne pouvant plus éviter de songer au malheur qui les accablait, ils finirent par ne plus penser qu'à cela.

Des recherches s'organisaient pour creuser des puits et atteindre des nappes phréatiques plus profondes. Elles étaient toutes à sec. Des clans rivaux mirent à l'honneur des rixes nocturnes qu'on baptisa bien vite les Guerres de l'Eau. De nouveaux journaux furent fondés: Le Monde tombé à l'eau, Dernières nouvelles liquides...

On ne parlait plus que de cela.
Tous les yeux étaient tournés vers cette petite molécule, H2O, qui était devenue la denrée la plus rare sur Terre...

Aucun commentaire: