dimanche 27 avril 2008

Nova (1)


La flamme dansait devant ses yeux, mouvante comme une mer agitée. C’était jaune, rouge, bleu ; un long ruban qui se dépliait pour se replier, inlassablement. Il passa ses doigts blancs dans la couleur, et les retirant du feu, les porta à hauteur de ses yeux. Un voile orangé s’y était déposé. Souriant tristement, comme lorsque sa fille lui demandait pourquoi sa mère les avait quittés, il secoua sa main au dessus de son jean râpé. Des poussières d’or tombèrent. Les poussières de galaxie, celles dont scintillent les étoiles.

La montre, posée dans l’herbe à côté de lui, le ramena à son œuvre, ponctuant la nuit noire de son tic-tac indifférent. Il saisit une branche dont l’écorce sèche avait blanchi, cuite par la chaleur qui régnait perpétuellement dans ce coin reculé du Désert Bleu. Il retourna quelques braises et sentit sa barbe roussir sous la pluie d’étincelles blanches. Encore quelques minutes. Ses yeux, s’attardant sur le cadran noir en plastique, se perdaient dans les brumes du souvenir. Son premier saut avait été avec Saérah, dans les forêts détrempées d’Earth-o-wide. Vingt ans déjà, et pas un détail ne s’était estompé ; ses souvenirs avait la précision d’une gravure ancienne. A tel point que les contours du paysage lui semblait maintenant trop durs, trop droits, pour être fidèles aux courbes moussues des collines entourant la station d’Export. Un Visionnaire, voilà ce qu’il était, voilà pourquoi on l’avait recruté. Il ne fallait pas qu’il s’étonne que ses dons altèrent quelque peu sa mémoire.

Tic-tac. Encore quelques battements de cœur, et il pourrait partir. Il tourna à nouveau son attention vers le feu qui fourmillait. Avec l’expérience, il avait fini par maîtriser sa peur, cette peur qui vous serre le ventre à chaque nouveau saut. Il reprit la branche posée sur ses genoux croisés. C’était l’heure. Quelque part, dans le ciel sombre, un satellite explosa. Il n’entendit rien depuis le Désert Bleu, mais du coin de l’œil il surprit la griffure pâle de l’explosion sur le ventre bombé de la voûte nocturne.

Concentration. Il appuya sa paume sur l’extrémité coupante de la branche, plaçant l’autre dans l’âtre rougeoyant. Puis il se leva, murmura quelques mots. Ne oarsmen riünor Aesthané hirkhéat. Son souffle fut perdu dans le crépitement des flammes. S’appuyant toujours sur la branche, il avança un pied nu. La plante de son pied heurta une des roches qui encerclaient le feu et se posa dans le brasier. Il vérifia que le portail était prêt à s’ouvrir. Remuant encore un peu les cendres enflammées, il reconnut le scintillement bleuté si familier. Très bien, pensa-t-il. Au moins Omâr n’aurait pas à l’attendre. Pas cette fois.

Il s’avança et toute sa silhouette fut soudain cernée de rouge, du rouge sanglant des flammes découpant la nuit. La branche qu’il serrait se mit à blanchir et l’écorce déjà blanche brilla d’une lumière aveuglante. Il ferma les yeux et sentit le vide qui l’appelait. Il n’avait pas chaud, il ne sentait pas les langues brûlantes qui rognaient ses vêtements et les consumaient avidement. Il ne sentait que sa peau qui tirait, que le monstre qui voulait sortir. « Ainsi soit-il », murmura-t-il.

Tout à coup, un hurlement rauque, animal, jaillit de sa gorge pour venir heurter les étoiles qui dormaient tout en haut. Le temps s’arrêta un court instant, et les insectes qui bourdonnaient autour de la lumière, attirés vers leur propre perte, s’immobilisèrent. Les os craquèrent, ses mains se mirant à trembler alors qu’il sentait tout son corps se tendre, comme un long muscle félin. Des écailles s’imprimèrent comme des marbrures violettes, sur sa peau blanche. A ses pieds, le scintillement bleuté devenait plus vif et dessinait maintenant un pentagramme. Au centre, un cercle noir avalait les braises chaudes qui fumaient encore. Le feu faiblissait. Peu importe, pensa-t-il. Le saut vient.

Il sentit le sol se dérober sous ses pas et ce léger vertige qui vous prend à chaque transport. Et comme le cri déchirant, dont l’air était encore empli, saturé par la fumée et la magie noire, faiblissait, une chouette qui guettait sur un chêne proche vit Erëin disparaître. Mais avant de laisser, en partant, une large brûlure dans le sable bleu, il cracha un long jet de feu qui vint mourir au pied du vieux chêne. La chouette, hululant de frayeur, s’envola d’un battement d’ailes, une tornade bleue colorant ses plumes.

Puis tout redevint calme. Seule restait, sur le sol vitrifié par la chaleur, la branche noircie, brisée en deux.

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