samedi 31 mai 2008

Eströhne (2): ou les lendemains de beveurie


« Eh, la gueusaille, bouge-toi le train ! ».

Une cascade glacée rinça la figure sale de Mabro. La source d’éternelle jouvence ? Avait-t-il rejoint les muses enchanteresses et les nymphes des sources ? De vagues échos se répondirent dans sa tête. L’impression qu’une équipe de foot avait élu domicile dans les circonvolutions de son cortex, et que le ballon rebondissait dans la lucarne de son crâne. Des gouttes brunes, se faufilant à la commissure de ses lèvres, lui apprirent que c’était l’eau de la Tamise et sa crasse sombre qui ruisselaient sur son visage. Sortant de son demi sommeil, Mabro se releva brusquement, juste à temps pour balancer un coup de pied au balayeur en vêtements verts qui venait de rabaisser sa dignité.

Il commençait à faire jour. Mabro avait passé la nuit sur les pavés, au milieu des épluchures de pommes de terre, échappant de peu aux contenus peu respectables de sauts vidés depuis le haut des fenêtres alentours. Le Dragon Bleu gisait quelques mètres plus loin, sa porte éventrée. Et Mabro n’avait pas la moindre idée de ce qui s’est passé.

Il avança en titubant, grimaçant lorsque ses jambes engourdies refusent d’obéir. Un garde en habits d’argent, de l’autre côté du pont, poursuivait sa marche matinale et les premiers saltimbanques installaient leurs estrades. En s’approchant des murs noircis de la taverne, Mabro chercha vainement à repriser l’écharpe trouée de sa mémoire. Un peu comme un puzzle dont on lui aurait piqué des pièces.
Soufflant fortement, appuyé contre le mur, sa tête frôla un bout de parchemin placardé sur le bois du volet d’où dépassait un poignard. On pouvait y lire :
« Mabro Réann, ex-membre du Séminaire d’Eströhne, répondant à la description suivante (…) est recherché par la Garde-en-Chef. Toute personne susceptible d’apporter des précisions utiles à l’enquête est priée de se rendre à la caserne de surveillance la plus proche ».

Dans la tête de Mabro, tout un tas de petits engrenages se mirent à cliqueter. Les rouages de sa mémoire avaient beau forcer, il lui semblait qu’il se balançait au dessus d’une plaie béante par laquelle tous ses souvenirs avaient fui. Et parce qu’il était impossible qu’une convocation de la Garde soit une simple invitation courtoise, il commençait à craindre que son ivrognerie ne l’ait conduit à agir de façon peu raisonnable…

En tous cas, impossible de faire jaillir la moindre étincelle de cette obscurité où il se trouvait plongé. Il revoyait nettement Rosie, au bar, il revoyait la Brigade arriver en trombe… Sa nuque revoyait probablement le coup qu’il avait pris, vu les élancements qui la déchiraient. Et puis plus rien. Mais à voir l’état du Dragon, la suite n’avait pas dû ressembler à un bal de charité.

Mabro passa la tête dans l’embrasure calcinée d’une fenêtre disparue : à l’intérieur, une bonne partie du mobilier avait été ravagée par les flammes. Celles-ci, probablement alléchées par l’alcool saturant les chopes et jusqu’à l’atmosphère ambiante, avaient crû joyeusement. Des lambeaux de capes et des chapeaux transpercés de flèches gisaient ça et là. Des éclats de verre tapissaient le sol. Il n’y avait pas âme qui vive.

« Monsieur achètera bien une montre ? ».
Une main s’abattit sur l’épaule de Mabro et le tira violemment en arrière. Il se retrouva face à un homme maigrelet d’une trentaine d’années, de petite taille et dont les os saillaient sur les avant-bras, mais doué d’une force impressionnante. « Devos, meilleur fournisseur en ville de ces petites merveilles », proféra ce dernier en lui tendant la main droite, tout en gardant la gauche fermement agrippée au poignet de Mabro. Mabro, toujours passablement mal réveillé et tentant vainement de redescendre sur terre, ne put s’empêcher de trouver la situation étrange. Mal à l’aise, il essaya de se dégager de l’emprise de son petit interlocuteur, mais celui-ci le repoussa brusquement contre la chaux noircie du mur. « Vraiment, vous devriez regarder. Ça n’est pas si cher pour ce que c’est… ».

Mabro baissa enfin les yeux sur le manteau que ce soi-disant « Devos » tenait entrouvert. Sur les deux pans intérieurs étaient accrochés une multitude de montres de teintes plutôt sombres, et de formes variées. Frappé par le silence ambiant qui tout d’un coup tomba sur la rue, Mabro remarqua qu’aucun des objets ne possédait d’aiguilles. Il s’approcha plus près et s’aperçut que chaque cadran semblait contenir un liquide épais et chatoyant, un peu comme du mercure. Cela formait une petite mare sous le verre de la montre, dans laquelle des signes flottaient dont il ignorait la signification. Et en se penchant encore un peu plus, Mabro crut distinguer son reflet délavé dans le blanc d’un de ces taches de couleur visqueuses. Etrange… Le visage qui lui faisait face semblait avoir vieilli de plusieurs années ; des rides lui couraient autour des yeux. Soudain, un éclat rouge brouilla l’image et la vision du parchemin signalant qu’il était recherché par la Garde vint clignoter à la surface du métal bouillonnant. Mabro se releva d’un geste sec et parvint à se dégagea de l’étreinte des doigts noueux. Il plaqua son bras droit sur le mur, masquant, sur la feuille blanchâtre qui voletait dans la brise, le portrait du présumé coupable qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau.

« Monsieur est intéressé ? »

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Dis ma poulette c'est toi qui a écrit ça ? Ya une suiiiiiiite ? Je veux savoiiiir! C'est vraiment très bien écrit !!! Je suis ébahie là

Anonyme a dit…

Bah tu réponds pas ? Flemmarde :p Par contre j'ai juste une remarque à te faire, ça serait pas mal si tu pouvais regrouper tes "récits" si je peux m'exprimer ainsi, pour que l'on s'y perde moins ! Parce que j'ai vraiment envie de tout lire mais je m'y perds !
Sinon tu m'envois tout en fichier word :p

p.s: ça te dérangerais si je passais le lien de ton blog à des amies qui voudraient devenir écrvain elles aussi ? Elles sont très intéressées par ce que je leur ai raconté.

Lineyl a dit…

Désolée de pas avoir répondu, ma puce. Simplement, j'ai tellement de posts que je vérifie pas tous les commentaires tout le temps...
Pas de problème pour que tu passes le lien à des amies, au contraire, je suis flattée.
Pour grouper les récits, je vais essayer... Je vais changer les libellés, par exemple: "Histoires: Eströhne", ou "Histoires: Nova"... Il y a aussi beaucoup de "Scènes de la vie nocturne": ce sont des petits récits qui tiennent en un post seulement (le premier, c'est "William", le 2e "Esther", puis "Evrasth", mais ça c'est en plusieurs parties, et j'ai pas encore écrit la suite...).
C'est un peu compliqué, mais si t'as un problème précis de "raccrochage" des récits entre eux, écris moi un mail!!!).
Ravie que ça te plaise, en tous cas, ça me donne une motivation pour écrire la suite!!
Bisous

Anonyme a dit…

Aaah =D Oui oui regroupe moi tout ça allez hop hop au travail ;) J'ai commencé à lire Eströnhe (les deux post je crois) et le reste j'ai survolé mais ça à l'air super intéressant ! Surtout que j'ai l'impression que tu ne t'enfermes pas que dans un genre précis, ce qui m'impressionne fortement ! =O
Je te donnerais mes impressions ^^
Bisous !

Lineyl a dit…

D'accord! Donne moi un avis sur les poèmes, si tu veux/peux. Sans crainte de critiquer, hein? De toute façon, il y en a qui ne sont pas (assez) travaillés, bien sûr. En attendant, je travaille pour toi, j'écris la suite d'"Esthröne". Je ne sais pas quand je m'y serais remise si tu ne m'avais pas donné une raison d'écrire ce qui va arriver à mon pauvre Mabro!

Anonyme a dit…

Héhéhé contente d'être celle qui te pousse à écrire ^^ Si j'étais capable d'écrire un truc correct, je serais heureuse mdr Oki, j'essayerais de donner des avis ^^