samedi 24 mai 2008

Et il arrive que ça se passe bien...


Vous voilà, tout moite et tremblotant. Vous atterrissez vous ne savez comment devant la porte indifférente d'une salle, dont le rouge vous évoque irrésistiblement l'entrée des Enfers où ronfle Hadès. Derrière cet amalgame de bois et de plastique vous attend l'horreur et le stress à leur plus haut degré de raffinement.

Vous allez passer une khôlle.

Vous n'avez jamais été aussi crispé sur le bracelet plastifié de votre montre, derrière bouée de sauvetage qui vous raccroche un peu à la réalité. Qui vous rappelle que vous allez simplement parler, pendant quelques minutes. Puis que tout sera fini. Finalement cette montre qui vous angoisse ne vous veut pas de mal. Elle devrait avoir la vertu apaisante des propos rationnels qu'on entend à longueur de journée; quoi de plus inévitable que le passage du temps, quoi de plus insignifiant, dans le cours inlassable de la vie, qu'une demi-heure à s'exprimer devant quelqu'un qui ne vous doit rien, à qui vous ne devez rien?

Mais voilà, cette relation lyophilisée, cette interaction impersonnelle et désinfectée, vous n'arrivez pas à vous l'enfoncer dans le crâne, et encore moins à l'incarner. Vous êtes là, vous êtes présent. Votre corps, vos mains, vos joues, vos yeux, votre voix... Pas moyen de se réfugier derrière l'anonymat de la plume. Ni même de faire comme si l'on s'adressait à un miroir.

Si encore l'autre avait la délicatesse de s'abstenir de tout signe de vie. Mais non. Ce que vous voyez dans ses yeux, dans ses mains qui s'agitent auprès de gribouillis hiéroglyphiques, c'est une distance froide et impitoyable. Parfois, c'est le découragement, ou l'incompréhension. Souvent, c'est le jugement. Vous avez l'impression que c'est cette phrase qui n'arrive pas à se terminer, ce mot qui n'est pas à sa place, cette transition qui se barre en couille, cette fausse rhétorique cousue de fils blancs, qu'on juge en vous.

Vous vous sentez exposé. Vous l'êtes. Et vous ne l'êtes pas seulement durant cette demi-heure interminable et trop courte. C'est tout votre corps qui se cabre, plusieurs heures avant le ding-dong fatidique de votre horloge de stress interne. Et vous ne comprenez plus comment vous pouvez avoir aussi peu de contrôle sur vous-même. Merde, après tout ce ventre il est à vous! Aucune raison qu'il ne se range pas aux exhortations parfaitement justifiées de votre conscience.

Vous avez l'impression de nager dans une piscine où les carrés de plastique des lignes d'eau se sont barrés. L'impression que quelqu'un a mélangé les drapeaux du slalom, sur la piste de ski. Alors qu'il importe avant tout que votre prestation soit claire et logique, vous avez le sentiment d'avoir malmené la mayonnaise en agitant la cuillère dans tous les sens, et qu'elle ne prendra pas.

Well, sometimes it happens . Et parfois non; dans ces moments-là, vous éprouvez la joie indicible d'avoir vaincu votre plus grand ennemi, c'est-à-dire vous-même.

Oui, il arrive même que ça se passe bien...

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