vendredi 28 mars 2008

E minor, Op. 72, n°1


Chopin.
Des notes glissent et redessinent la silhouette du monde, comme on lave à grande eau des carreaux gris de crasse. D'ailleurs le ciel délavé, dehors, prend sa douche. Majestueux. A peine manque-t-il de cette profondeur qu'ont les cieux de perspective, ceux où les nuages blancs, tremblotants, se mêlent aux rayons chauds, à l'indigo spacieux, pour former une voûte splendide. Car derrière la couche épaisse de peinture morne, il vibre d'une lueur retenue, prête à flamber. Le doigt de Dieu tend et détend perpétuellement cette corde unique d'où s'échappent des échos de soleil, des éclats pressentis. Comme une promesse.

Ce ciel-là, c'est à Chopin qu'il ressemble.
Il est mélancolique, il passe impassible, il déroule. Il enveloppe tout, mais sans freiner. Il nous emporte en tirant sur le fil emmêlé de nos pensées. Il nous déroule. C'est la couverture qui borde les sommeils enfantins; les bras accueillants, tristes qui manquent à l'amant exilé.

Tendresse grise. Comme un grand coup d'éponge sur nos paysages trop secs, trop carrés, trop brillants. On regarde dehors, on voit le vacillement des gouttes et des formes mal découpées, un peu collantes. Comme si nos yeux pleuvaient. Comme si le coeur s'éveillait au milieu de ses rêves, et se contemplait, dormant. Dormant, c'est-à-dire ignorant. Touché par cette absence qui donne son charme à la naïveté. Touché par cette illusion qui donne son mensonge à la naïveté.

Les doigts, courant sur les touches, tantôt s'y posent, légers comme les embruns qui colorent les joues des passants le long des grèves, tantôt s'y fondent profondément, comme si dans cet embourbement du ciel, le monde refusait de se faire dur.

Le temps pourrait s'arrêter. Se suspendre un instant sur les hauteurs. Attendre. Et s'il voulait dormir? Nous nous berçerions nous-même dans son roulis hésitant et qui chantonne, ce soir, dans la bruine.

"Pleure" dit l'âme Nocturne. "Souris" rigole la jolie Polonaise. "Danse" susurre la Valseuse sombre.

Pleure, souris, danse.

Vis.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ces jours-ci, j'étais dans une période Bach ... je crois que je ne vais pas tarder à repasser à Chopin et à ses nocturnes... :)

Lineyl a dit…

C'est toujours profitable, si ce n'est qu'il faut choisir le moment, pour ne pas risquer une apathie ou une mélancolie... hum... exacerbées.