mercredi 19 mars 2008

Scènes de la vie nocturne: William


William s'avança dans le hall du palais, sortant de l'obscurité des couloirs où ne pénétrait pas la lumière des torches. Les murs de pierre avaient l'éclat glacé d'une lame qui blesse l'oeil; leur peau grisâtre et légèrement suintante s'exhibait comme un corps malade, à peine vêtu de tapisseries poussiéreuses, suspendues là comme un manteau qu'on oublie sur une patère, et qui semblaient ne savoir qu'y faire. Toute la salle résonnait de cet éclat métallique, et au toucher la roche avait la froideur de la joue d'une morte.

Trois chandelles brûlaient encore sur la table massive, sous le lustre qui frissonnait dans sa robe de cristal. Les restes d'un repas, apparemment gargantuesque, traînaient. Il y avait dans ce lieu une présence étrange, comme si les objets eux-mêmes, délaissés provisoirement, attendaient, encore plongés dans les intrigues malsaines d'une pièce pleine de trahisons, d'amours adultères et de complots, le retour des acteurs.

Le bruit d'une cape claqua. William fit volte-face. Sur le mur, le portrait du roi Maudit le scrutait, implacable. William se sentit transpercé par ce regard translucide, au bleu profond comme le poids des siècles sous lequel s'affaissait le château tout entier. Pas une ombre sous les flambeaux crépitants. Pas un bruit de botte. Pas de lame au chant grisant, sortant la fourberie de son fourreau.

Perturbé par ce silence inquisiteur, autant que par le bruit qui l'avait troublé, William accéléra le pas, longeant les murs, évitant coupes tombées à terre et fauteuils renversés. Sur sa droite, à travers les immenses fenêtres, scintillait la lune. Elle aussi était aguicheuse. Comme tous. Comme toutes. Comme ces femmes, toutes ces femmes...

Un rire étouffé. Le bruit d'une étoffe qu'on déchire, et qui crisse de plaisir. Un baiser, dont l'écho emplit la pièce entière.

William, se retournant à nouveau, distingua, au fond, non loin de la porte qu'il avait franchie en sortant de chez l'Enchanteur, deux silhouettes qui s'agitaient dans l'ombre. Les contours en étaient flous, étouffés comme les mots d'amour que les deux amants murmuraient. Une chevelure rousse, bouclée, jaillit un instant de la pénombre, frappée par un rayon lunaire qui s'était aventuré jusqu'au renfoncement derrière les tentures noires.

William se figea. Son sang s'était glacé. S'il avait tourné la tête pour voir, dans le miroir rouillé qui cuirassait la muraille, son propre visage, il n'y aurait reconnu que celui d'un petit enfant de six ans, aux joues maculées de larmes, et dont la voix s'était cassée comme une corde de guitare, tout au fond de sa gorge. Mais s'il s'était approché davantage, peut être aurait-il reconnu, dans les yeux noirs qui l'auraient fixé, la folie sourde de l'homme qui ne peut échapper à ses fantômes. Peut-être aurait-il entr'aperçu la lame que l'enfant aurait saisie à pleine main, s'y blessant en serrant trop fort le poing.

Toutes ces femmes... Cette femme... William ferma les yeux, respirant plus fort, et l'espace d'un instant, vit le Malin penché sur lui comme l'intriguant sur le corps amaigri d'un roi qui signe son testament. Son âme trembla. Les souvenirs revenaient. Toujours les mêmes... Il s'appuyait d'une main à la paroi, les yeux toujours fermés. Il se mordit les lèvres, sentit les larmes couler entre ses cils, et serra plus fort la lame entre ses doigts.

Sur le sol s'étoila une goutte de sang.


Il tremblait toujours, et pourtant il lui semblait qu'il avait été absent pendant des heures. William rouvrit les yeux. La brise soufflait, empuantie par l'odeur d'un bûcher qui finissait de se consumer, dans la ville. La nuit était d'un noir mat, qui occultait presque les piqûres des étoiles sur le ciel par son néant oppressant. Il avait, semble-t-il, marché jusqu'au jardin. Assis sur un banc de pierre rongé par le lierre, il faisait face à une ancienne fontaine, abritant désormais des plantes et des insectes là où nageaient autrefois des poissons. Parfois, sous un éclat de lune, le bras potelé d'une déesse de pierre surgissait de ce fourmillement végétal; mais l'oeuvre humaine s'était depuis longtemps incliné devant la mère nature.

William passa la main dans ses cheveux. Il avait dormi. Combien de temps? Il s'aperçut tout à coup qu'il tenait toujours son poing droit fermé. Les phalanges de ses doigts avaient blanchi sous l'effort et sous l'effet du froid.

Il ouvrit la main. Dans le sang séché de la blessure reposait le poignard, petit et fin, à la délicatesse d'un bec de héron, et acéré comme le tranchant d'une corne. Il le posa à terre, sur le sol meuble. De sa main s'échappa un rayon rouge. Comme un grain de pollen, il vit, porté par le vent, s'élever une mèche de cheveux roux, que marquait une tache sombre de sang.

2 commentaires:

Flo a dit…

la suite, la suite, la suite!

Lineyl a dit…

Le principe, ça risque sûrement d'être qu'il n'y aura pas de suite... Hum,... mais on verra. Après tout, c'est pour m'empêcher de me prendre la tête avec un truc entièrement "construit" que j'ai décidé d'écrire ces "Scènes de la vie nocturne". Le seul recours qui te reste, c'est le léger lien que j'essaierai de laisser entre ces scènes, justement.
Au cas où des individus assez éveillés et attentifs, et intéressés (ce qui fait déjà beaucoup de suppositions) remarqueraient la référence.